Ancré dans le projet de développement d’une stratégie au long terme pour la Kultufabrik et dans la stratégie culturelle de la ville d’Esch, en 2018, la Kufa avait amorcé son projet « Artistes-associés en résidence ». Une nouvelle forme de résidence à « bail long terme » et aux ambitions étendues, dans laquelle se sont installés en premier, les artistes Sandy Flinto et Pierrick Grobéty, pour une durée de trois ans. Sauf que, tout n’est pas toujours aussi beau en vrai que sur le papier. Vanitas, premier retour de résidence au Luxembourg montre une belle recherche documentaire et même stylistique, mais manque de rigueur dans la forme et nous pousse à croire que un ou deux mois de plus auraient peut-être permis de caler tout ça.
L’artiste Sandy Flinto questionne le rapport qu’entretiennent l’artiste performeur et le spectateur et décline une problématique entre « utilité » et « maîtrise » du corps dans l’espace. C’est sur ce point que le musicien et instrumentiste Pierrick Grobéty la rejoint. Lui-même s’intéressant au rapport son/espace et leur combinaison avec d’autres formes d’expression.
Réunis en 2012, le duo navigue depuis dans des eaux mouvementées, les menant à une approche de création couplant arts plastiques et spectacle vivant. Ensemble, ils font l’expérience du touche-à-tout, expérimentent sur des projets aux tessitures très différentes, en y alliant leurs atouts visuels et sonores, pour vagabonder aux frontières des genres et domaines. Profondément ancrés dans une recherche artistique pluridisciplinaire, Flinto et Grobéty développent des « concepts » qu’ils tentent d’interpréter en spectacles, performances, installations ou en appareillant tout ça. Vanitas, live fast, never digest est ainsi, en toute logique, un spectacle pluridisciplinaire.
Projet démarré en janvier 2018 au Trois CL, autour d’une recherche chorégraphique, Vanitas a pris petit à petit en substance, d’abord en trouvant une partition au concept sonore, puis dans des répétitions au Théâtre de L’Oulle à Avignon, dans la création lumière à Neimënster ensuite et enfin, à la Kufa, où le spectacle trouve son final cut, ou peut-être pas.
Vanitas dans le fond c’est le récit d’un homme livré à sa condition de mortel qu’il vient tout juste d’apprendre. Plongé dans notre contexte façonné aux valeurs consuméristes, performatives, technologiques et scientifiques, cet homme s’égare dans une quête de réponses. Devant lui, la mort le guide dans sa recherche de sens, lui donnant à voir et comprendre « l’éphémérité » de la vie.
Au plateau, au premier plan, un danseur occupe vaillamment la scène, derrière lui, s’étalent en toile de fond, « un acteur, un tatoueur, un coureur, deux chanteurs lyriques, une violoncelliste et une machine médico-musicale », comme le dit le programme. À jardin, un bouquet de ballons gonflés à l’hélium, aux cintres, une devanture à l’esthétique empruntée au cirque règne sur la hauteur de la scène. On comprend assez vite qu’ici, tous les domaines vont se côtoyer, voire se bousculer.
Car en effet, comme on dit : trop d’idées tuent l’idée même. C’est un peu le syndrome de Vanitas, qui décline une myriade d’idées, parfois lumineuses, mais sans montrer de cohérence dans leur imbrication. Flinto et Grobéty ont certes des moments de génie, trouvant de belles choses et montrant de la nouveauté dans l’esthétique, mais à utiliser tous les domaines du spectacle vivant et plus encore, ceux des arts visuels, on se perd dans un trop-plein de choses qu’on a souvent du mal à associer. En fait, tous ces domaines artistiques, ces médiums ou outils, s’installent dans Vanitas assez aisément, sans pour autant qu’aucun n’y jubile vraiment.
Il y à polir cet ensemble qui, sur le papier, est tout de même très alléchant. Là est le dommage, certaines choses marchent quand d’autres brisent les précédentes… Stefano Spinelli, par exemple, livre une prestation chorégraphique sublime, souvent justement accompagné par Valérie et Arthur Stammet au violoncelle et au chant. Mais, derrière, les bruits répétitifs et omniprésents des pas d’un marathonien sur un tapis roulant, couplés à ceux du pistolet du tatoueur, installé au centre du plateau, viennent gâcher les moments de grâce de cette pièce.
D’ailleurs, autant l’un que l’autre ne servent à rien. On comprend l’envie de montrer le « sport » qui fait sens dans le propos comme le « dépassement de soi et la quête de perfection et d’optimisation ». Dans la même idée, on admet tout à fait, dans le fond encore une fois, montrer la pratique du tatouage comme fixation de la temporalité ou encore, la transformation du corps. Néanmoins l’illustration même de tout cela, sert-elle vraiment le propos ou ne vient-elle pas justement le déglinguer, l’éparpiller ou même le perdre ?
C’est en effet une des nombreuses questions que nous nous posons. Et là est la réussite de ce spectacle qui nous fait nous demander si cet aspect relativement brouillon, n’est pas une métaphore même de la vie ? Ça ferait sens, en tout cas. Pourtant ce qui pèche dans Vanitas, relève aussi de l’aspect moralisateur du propos qui en toute fin de compte, nous explique le monde qu’on vit comme a des enfants, tout juste propres. Du coup, Vanitas paraît joli à regarder mais, entre illustration et explication de ce qui se dit, n’insiste pas assez sur le fond des choses.