Rares sont les occasions d’entendre du théâtre contemporain à l’Opéra-théâtre de Metz Métropole. La ligne artistique du lieu n’en fait pas priorité, mais quand l’occasion se présente, c’est en tout cas souvent gage de vertu. Et puis, accueillir une création made in Nest, ce n’est pas rien. Jean Boillot a décliné une telle signature ces dernières années ; le public le suit, aveuglément. Bonne ou mauvaise chose, qu’importe, tant que le théâtre se fait avec réflexion, passion et dévouement.
Mise à la porte de son travail, après avoir giflé son patron, lâchée par son mari qui prend la garde de leur fils et forcée à déménager, Laura Wilson sombre dans un schéma de vie laborieux qui ne va pas aller en s’arrangeant. Citadine invétérée, vivant dorénavant dans une cage à poules, jeune chômeuse sans fric, dépouillée et alanguie, Laura Wilson survit grâce à ses proches, quelques rencontres et des petits boulots.
Face à un paysage sans horizon, cette madame-tout-le-monde des temps modernes va de mal en pis, jusqu’à ce qu’une révélation vienne à elle. C’est devant La chute des anges rebelles, un tableau de Pieter Brueghel, qu’elle va retrouver espoir, passant d’abattue à conquérante, ou du moins, optimiste… Sous le courroux d’une toile de Brueghel, Jean-Marie Piemme, l’auteur, fait de son antihéroïne à l’avenir déplaisant, une héroïne inépuisable, engagée, voire révoltée.
Ainsi, Dans La vie trépidante de Laura Wilson, le dramaturge belge répond a contrario du tragique, donnant à voir une femme qui se débat des violences sociales et psychologiques qu’elle subit. Au lieu de sombrer, elle s’acharne avec vigueur à récupérer sa vie ou à s’en trouver une autre, forgée par la démence ou la gentillesse des personnages qui gravitent autour d’elle. On croirait Laura Wilson capable de changer le monde. Piemme décoince ainsi le format de la tragédie donnant à entendre des dialogues sincères, d’une cruauté ordinaire, dans cette histoire qui pourrait bien être vraie.
Chez Boillot, cette peinture sociétale assez commune, dans le fond, prend un rythme effréné, fidèle à l’ironie de Piemme dans le titre, parlant d’une vie : « trépidante ». Les scènes s’enchaînent naturellement et d’ailleurs plutôt bien. Et même si le théâtre est montré aussi dans son aspect technique, rien ne vient perturber le déroulement du récit. Au contraire, cela ajoute au propos, stimulant la compréhension mais surtout créant des soupapes indispensables à l’idée commune qu’ont ici Boillot et Piemme de ne pas « tragédier ».
Dans ce sens, c’est plutôt une forme d’humour grinçant qui nous anime et pousse les comédiens à livrer une énergie communicative. Entre la guitare rockabilly d’Hervé Rigaud, les vocalises fleuries de Philippe Lardaud, la présence tonifiante de Régis Laroche et le style mordant d’Isabelle Ronayette, nous sommes ballotés entre mélodies et jeu, plongés dans une pièce pleine de mécanismes scéniques imbriqués les uns aux autres qui nous empêche presque de cligner des yeux.
Et puis, à vriller complètement dans le réel sur la fin, la pièce donne un nouveau niveau d’impact. Tournée vers nous, Laura Wilson scrute notre âme, pour juger si nous aussi, comme son ex-boss, on mérite une bonne claque, histoire de nous remettre les idées en place. Là, on nous lance en gros, « mon p’tit, y a quand même plus grave dans la vie que de perdre son job, divorcer ou cuver devant son gosse de six ans : Y a les migrants… » Et paf ! Sans prévenir, comme si on prenait un énorme soufflet, on nous parle « migrants ». D’abord pour nous faire la leçon, puis pour y élever le niveau critique et enfin pour nous faire comprendre que, finalement, on n’est pas si mal, assis là, au chaud, dans de jolis fauteuils rouges, sous un plafond tout en moulures…
C’est vrai qu’on était vraiment bien devant cette pièce. Jean Boillot utilisant tous les ressorts du texte de Piemme, nous offre du bonheur en barres et on ressort gonflé à bloc de cette histoire de « vie trépidante ». Ça commence mal, très mal même et pourtant même dans les histoires les plus merdiques, il y a de l’espoir, de la hargne, une justice sociale, de l’amour même. Purée, Laura Wilson, ça serait presque un personnage Disney ! Enfin là, y a encore du boulot… « Tchi tcha ! »