Cela s'appelle un « ordre de quitter le territoire ». Le papier que reçoivent actuellement les réfugiés demandeurs d'asile déboutés à toutes les instances, après une procédure qui dura souvent plusieurs années, est explicite : fini le soi-disant accueil chaleureux du Luxembourg. Avant l'été, les associations non-gouvernementales d'aide aux étrangers, chapeautées par le Collectif réfugiés, craignaient que le gouvernement ne profite de la léthargie estivale de l'opinion publique pour accélérer les processus de retour. Cette crainte venait probablement aussi d'annonces comme celle émanant de la conférence de presse du 16 mars sur le sujet des retours, dans laquelle il était affirmé que « le gouvernement espère notamment encourager le rapatriement, dès la fin de cette année scolaire, des personnes qui se verraient refuser le statut de réfugié. »
Or, la majorité des presque 5 000 demandeurs d'asile qui se trouvent actuellement au Luxembourg sont des musulmans du Sandjak, région frontière du Monténégro avec la Serbie (4 400 en mai 2000, selon Charles Goerens). Or, dans l'attente des élections de septembre, la tension entre les pays fédérés dans la République fédérale yougoslave monte. Les aspirations indépendantistes du Monténégro augmentent au fur et à mesure que Belgrade essaie d'y accroître son pouvoir, et la région se trouve à nouveau déstabilisée. Le gouvernement luxembourgeois toutefois fait confiance à Vladimir Cejovic, le ministre de l'Intérieur du Monténégro, qui, lors d'une visite de travail au Luxembourg fin mai, affirmait que la situation était suffisament stable pour envisager un retour des réfugiés. Aucune suspension momentanée de rapatriements n'a été annoncée jusqu'à présent.
Depuis lors, le ministère de la Justice envoie des listes avec les noms des personnes susceptibles de rentrer au Monténégro et attend d'avoir une réponse officielle leur assurant un accueil en toute sécurité. Après un voyage dans la région en juin, Agnès Rausch de la Caritas faisait toutefois part de son inquiétude face à une région qui craint qu'une guerre civile n'éclate et durant la première quinzaine du mois de juillet, la « Plate-forme ouverte contre les retours forcés au Monténégro » essaya d'attirer un tant soit peu l'attention publique sur les dangers que courent les éventuels expulsés. En vain.
Car l'ambiance est actuellement à la franche hostilité envers les réfugiés et demandeurs d'asile. Ils abuseraient de l'hospitalité luxembourgeoise, estime la rumeur publique, non seulement ils ne travaillent pas, mais en plus ils sont payés et, dans le Nord du pays, agressent les jeunes Luxembourgeois. Et voilà que soudain, après une année 1999 de générosité relative, le gouvernement en est arrivé à une situation difficilement gérable. Parce que les portes donnant sur la xénophobie sont grandes ouvertes. Pourquoi ne travaillent- « ils » pas ? Parce que depuis la mi-juin, plus aucun des quelques dizaines de permis de travail provisoirement accordés l'année dernière n'a été renouvelé. Sans permis, pas de travail. En supprimant toute base d'une vie autonome et digne au Luxembourg, et en se montrant « généreux » de l'autre - une aide financière pouvant aller jusqu'à 48 000 francs par adulte en cas de retour volontaire rapide et des programmes d'aide à la reconstruction - le gouvernement prouve qu'il considère désormais tous les réfugiés non plus comme des réfugiés politiques, mais comme des réfugiés économiques qui seraient venus au Luxembourg parce qu'ils espéraient y trouver un pays de cocagne. De sources proches du ministère de la Famille, on entend même que le soutien financier minimal serait prochainement supprimé pour les réfugiés célibataires vivant au Luxembourg, leur enlevant ainsi jusqu'à la base de leur survie.
La tactique du gouvernement pour faire passer la pilule de l'injonction de départ est évidente : faire empirer les conditions de vie des réfugiés au Luxembourg et investir cette somme d'argent dans les allocations de départ (200 millions de francs débloqués) ainsi que dans des programmes de reconstruction au Monténégro. On ne laisse plus guère le choix aux demandeurs d'asile déboutés, tout en évitant les actions similaires à l'opération Milano en novembre dernier.
Au Collectif Réfugiés, on n'a pas connaissance jusqu'à présent d'expulsions de force. Les quelques personnes qui sont parties durant les derniers mois l'ont fait en profitant des allocations du gouvernement. Mais on s'y inquiète aussi de ce que les mesures de rapatriement concernent des réfugiés vivant depuis plusieurs années, cinq, six ans, au Luxembourg, et qui ont commencé à refaire un début de vie ici. Le 20 septembre prochain, la commission juridique de la Chambre des députés doit avoir un premier échange de vues sur une éventuelle régularisation des sans-papiers. Ces réfugiés monténégrins pourraient tomber dans cette catégorie - s'ils sont encore ici à la rentrée.
Le week-end dernier, les 28 et 29 juillet, les ministres européens de la Justice et de l'Intérieur se sont réunis pour un Conseil informel à Marseille pour e.a. discuter de la politique d'immigration européenne. Suite aux projections établies par l'Onu en janvier, partant d'un besoin de 47 millions d'immigrés de pays tiers jusqu'en 2050 pour faire fonctionner les systèmes sociaux et l'économie européenne (ces chiffres furent qualifiés d' « absurdes » par les Quinze), « il importait donc que les ministres de l'Intérieur, responsables de l'immigration des États membres de l'Union européenne, rétablissent la vision raisonnable de notre futur dans un domaine qui ne fait place ni à l'immigration zéro, ni à l'ouverture incontrôlée » indique le communiqué de clôture. La présidence française de l'UE veut oeuvrer pour une immigration contrôlée, ce qui serait facilité par une uniformisation des procédures d'asile dans les quinze pays-membres. Depuis Douvres, la forteresse Europe doit rétablir une politique migratoire à visage humain - en gros, s'en tenir aux décisions de Tampere d'octobre 1999.
Les gouvernements italien, français et allemand ont en plus décidé à Marseille de renforcer leurs mesures de lutte contre les passeurs d'immigrés clandestins.
Si en Allemagne, l'extrême-droite pose des bombes devant les foyers d'immigrés, au Luxembourg l'ambiance est non moins à la franche hostilité vis-à-vis des réfugiés et demandeurs d'asile. Parce qu'ils sont réduits à l'aumône, à l'oisiveté et à l'attente.
Des 5 000 personnes, seule une minorité sont actuellement arrivés en fin de procédure d'asile. Luc Frieden a imploré plusieurs fois déjà les ONG pour qu'elles découragent les demandeurs d'utiliser les recours possibles. Or, c'est la seule possibilité que leur confère le droit pour ne pas devoir repartir dans une région qu'ils craignent encore moins accueillante que le Luxembourg.