« Le peuple palestinien vit dans un beau pays, il est très heureux quand les fleurs d’amandiers éclosent au printemps, il s’en réjouit. Si l’occupation parvient à masquer la joie dans nos cœurs, cela veut dire que l’occupation a occupé nos âmes. »
En phase avec la poésie et l’engagement du poète Mahmoud Darwich, le trio de oudistes des frères Joubran révèle depuis plusieurs années déjà la beauté d’une musique palestinienne moderne, ancrée dans les traditions ancestrales. Nés à Nazareth, dans une famille de plusieurs générations de musiciens-luthiers, les trois frères, Samir, Wissam et Adnan maîtrisent la facture et le jeu de l’oud dans leurs moindres détails.
Comment, d’un simple « morceau de bois » (traduction arabe de l’oud), est-il possible d’extraire un tel instrument ? Perfectionné sous le califat abbâsside auprès de musiciens comme Zalzal Mansûr (?-791) qui ajouta notamment deux cordes à l’instrument, le luth oriental se compose d’une grosse caisse piriforme à manche court, sans frettes. Si le dos de l’oud est l’objet d’un raffinement extrême (incrustations de marqueterie), la table de résonance dotée d’une ou plusieurs rosaces laisse échapper des sons graves.
Chez les Joubran, l’oud est comme un membre de la famille. « Quand je suis né, mon père fabriquait un oud, mon frère jouait de l’oud et ma mère chantait », rapporte Wissam. Avec des fréquences proches de la voix humaine, les sonorités de l’oud sont aussi vibrantes que les pizzicati des violoncelles et ses harmoniques se rapprochent de la harpe. Aujourd’hui, la communication entre les trois frères passe surtout par ce dialogue instrumental : un jeu acrobatique, intense et subtile qui se révèle sur la scène.
De cette conversation fraternelle – les trois frères s’entendent bien (au sens acoustique du terme) –, surgit une musique orientale unique, composée tout en étant improvisée, choyant la résonnance, la précision, le silence et l’espace entre les notes. Il ne pourrait y avoir d’improvisation à ce niveau d’excellence sans une maîtrise virtuose de cet instrument emblématique de la musique arabe. Si rien n’est écrit, tout est minutieusement composé dans leurs têtes : un enchevêtrement savant de modes (maqâm), de mélodies et de rythmes (iqâ), si incroyablement agencé que l’auditeur n’en perçoit plus que l’émotion. L’improvisation ne peut jamais être rejouée, c’est un travail de musique écrite spontanément, qui s’élabore dans l’instant. Et la magie opère dans l’insolence de ce moment unique, où chaque parcelle improvisée de cette musique ancestrale, s’avère parfaitement inédite.
À la Philharmonie, ils nous présentent, adapté au live, leur dernier album : The Long March, mixé par le producteur parisien Renaud Letang, où ils retrouvent la voix de leur compatriote Mahmoud Darwich. Ils s’associent également au légendaire Roger Waters (Pink Floyd) pour le titre Carry the Earth dédié à tous ceux qui résistent pour leur terre, et à quatre de leurs jeunes cousins assassinés en jouant au football sur une plage de Gaza. La métaphore de la marche opère admirablement pour un trio en quête constante de nouvelles sonorités. À moins qu’il ne s’agisse d’une longue marche pour la paix.