Ça sentait le roussi depuis des mois, alors que le « deal », annoncé en mai 2010, aurait dû déjà être bouclé pour l’automne. Des indiscrétions avaient filtré début février dans la presse belge sur le risque d’un échec de la vente de KBL au conglomérat indien Hinduja, en raison du manque de transparence du repreneur et de son refus de fournir les informations réclamées par les contrôleurs bancaires. Mardi, avant l’ouverture des marchés, KBC, la maison-mère de KBL, a confirmé que la cession n’aura pas lieu, invoquant la décision de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), survenue la veille, de « ne pas poursuivre l’évaluation de l’acquisition » de KBL par Hinduja. « La CSSF est arrivée à la conclusion, souligne le communiqué de KBC, que sa décision aurait été de s’opposer à cette acquisition », le régulateur s’étant appuyé sur « l’application des critères prévus par la loi sur le secteur financier », après concertation avec les autres régulateurs, le réseau de banque privée de la KBL ayant essaimé à partir de sa plate-forme luxembourgeoise, dans neuf autres pays de l’Union. Contacté par le Land, le régulateur luxembourgeois s’est refusé à tout commentaire.
Bien que l’avis négatif des autres régulateurs n’était pas « liant », la CSSF n’a pris aucun risque sur la solidité financière du candidat à la reprise d’une banque aussi importante que KBL. Pour autant, le dossier « indien », politiquement et économiquement si important pour la diversification de la place financière de Luxembourg, serait-il mieux passé si le principe du contrôle conjoint au sein de l’UE n’avait pas été d’application (depuis le 1er janvier) ?
Le dossier présenté par la famille Hinduja présentait en tout cas des faiblesses sur le modèle de financement de l’acquisition du réseau de KBL pour 1,35 milliard d’euros, non conforme aux exigences de la CSSF. Les principales réticences du régulateur tenaient à la valorisation de plusieurs filiales que le groupe indien entendait apporter dans la corbeille pour s’offrir la banque luxembourgeoise. Sommés de modifier leur modèle de financement, les dirigeants d’Hinduja n’ont pas voulu « plier », sans doute parce leur calcul initial, en mettant 1,35 milliard d’euros sur la table, s’appuyait sur une valorisation des filiales jugée inadéquate par le régulateur. KBC aurait alors dû négocier le prix de sa filiale à la baisse.
Et maintenant ? KBC a jusqu’en 2013 pour céder son réseau de banque privée, conformément à son plan stratégique dicté par la Commission européenne, en échange des aides de l’État et des régions belges que le groupe bancaire a reçues pour le sauver lors de la crise financière de 2008 ? Il y aurait de la « flexibilité », selon le communiqué de KBC, qui va dresser maintenant « un relevé détaillé » des options qui s’offrent à lui. Dans le premier tour de table, le Brésilien Safra et l’Italien Agnelli avaient montré de l’intérêt pour s’offrir le réseau KBL, mais Hinduja avait été le plus offrant et aussi le plus rassurant en termes de maintien des effectifs.
Après des mois de négociations qui ont finalement tourné en eau de boudin, la question est désormais de savoir ce que vaut KBL et où en est le moral de ses troupes. Certainement pas, sur le premier point, la mise de 1,35 milliard (KBC espérait d’ailleurs initialement obtenir 1,5 milliard), malgré les déclarations rassurantes de ses dirigeants sur la bonne santé de l’établissement luxembourgeois qui emploie plus de 1 000 personnes. KBL a fait une cure de restructuration en comprimant ses coûts et renforçant son bilan, à travers notamment un plan social qui a frappé dix pour cent de ses effectifs au Luxembourg. S’il faut s’apitoyer dans ce dossier, c’est donc avant tout sur le sort du personnel de la banque, plongé depuis près d’un an dans l’incertitude de son futur actionnaire et de ses intentions.