L’unique participation luxembourgeoise à la 67e édition du Festival de Cannes est le film autrichien de Jessica Hausner, intitulé Amour Fou et invité à la section Un certain regard. Le film a été coproduit par la société de production éponyme de Bady Minck et d’Alexander Dumreicher-Ivanceanu. C’est le premier tournage qui s’est déroulé au Filmland à Kehlen, où des parties intégrales de salons d’un palais brandebourgeois ont été reconstruites en détail. De nombreux techniciens luxembourgeois ont travaillé sur le film, comme la directrice de production Julie Braham et le chef-éclairagiste Helder Da Silva, et même certains acteurs autochtones ont trouvé des petits rôles au sein de cette coproduction, comme Marie-Paule van Roesgen qui campe le rôle de la tante de Heinrich von Kleist. Hausner n’est pas une étrangère au festival de Cannes : avec son film de fin d’études Inter-View (1999), elle a obtenu le Prix du jury dans la section officielle Cinéfondation, alors que son premier long-métrage Lovely Rita (2001) lui a valu pour la première fois une entrée dans la section Un certain regard, suivi de Hotel en 2004. Après avoir obtenu le prix Fipresci à la Mostra de Venise avec son film Lourdes en 2009, c’est pour la troisième fois qu’Hausner est de retour dans la deuxième section cannoise que les critiques de cinéma apprécient pour sa richesse en découvertes et son caractère moins politique que la compétition. Amour Fou est une parabole sur l’amour en prenant comme point de repère les derniers mois de la vie du poète Heinrich von Kleist et de sa partenaire dans la mort, Henriette Vogel. Peut-on échapper à son destin en se donnant la mort à deux, par amour, où est-ce que ce geste est totalement absurde vu que chacun est condamné à mourir seul quelque part ? L’amour, serait-il multiple et ambivalent et non pas unique et constant comme le prône le mariage ?
Jessica Hausner aura une rude concurrence puisqu’elle sera entourée d’auteurs comme Pascale Ferran qui signe son retour avec Bird People, huit ans après son excellent Lady Chatterley, ou encore de l’argentin Lisandro Alonso qui revient avec Jauja et qui avait déjà brillé avec son Los Muertos en 2004. Ce sont souvent les premiers films en lice pour la Caméra d’Or, décernée cette année par l’actrice et réalisatrice française Nicole Garcia, qui arrivent à surprendre le plus. Dans cette catégorie, l’ancien monteur d’Antonin Corbijn (Control), Andrew Hulme, présente Snow in Paradise, un film sur un délinquant anglais à mi-chemin entre La Haine, Requiem for a Dream et Un prophète. Le film ivoirien Run conte l’assassinat du Premier ministre ivoirien par un homme du peuple et Dohee-Ya de July Jung est un polar dans lequel une flic est mutée dans une petite bourgade de la Corée du Sud où elle fait la rencontre d’une fille au secret lourd. Ryan Gosling, l’homme le plus courtisé par le sexe féminin, frôlera également la Croisette et complète cette liste de premiers films avec Lost River. Il ne sera pas le seul acteur-réalisateur puisqu’il sera entouré d’Asia Argento avec L’Incomprise et surtout de Mathieu Amalric, qui présente son adaptation de la Chambre Bleue de Georges Simenon. L’ouverture sera assurée par un trio de réalisateurs français dont c’est également le premier long métrage. Party Girl est un film centré sur la vie de Marie Amachoukeli qui incarne son propre rôle, à savoir celui d’une entraîneuse dans un bar de nuit qui finit par accepter la demande en mariage d’un de ses clients, la veille de ses soixante ans. Le cinéaste argentin Pablo Trapero (Elefanto blanco, 2012) succède en tant que président du jury à Thomas Vinterberg et décidera du sort de ces films.
Du côté de la compétition, nous sommes dans le domaine des cinéastes amadoués par les sélectionneurs de Cannes, quelques exceptions obligent. L’entrée en compétition de la cinéaste toscane Alice Rohrwacher avec Le Meraviglie, trois ans après Corpo Celeste, ainsi que celle de Bennett Miller avec Foxcatcher, cinéaste newyorkais qui nous a amené des films comme Moneyball (2011) ou Capote (2005) sont des surprises, alors que Mommy, le cinquième long-métrage du génie décrié canadien Xavier Dolan, âgé seulement de 25 ans, est un phénomène attendu. Du côté des habitués, saluons le retour de Jean-Luc Godard avec Adieu au langage, dont le synopsis et la bande annonce font déjà dire à certains qu’ils ne mettront pas un pied dans la salle alors que d’autres sont heureux de découvrir sa prochaine excursion qui s’annonce formellement expérimentale et résolument philosophique. L’épopée Winter’s Sleep d’une durée de plus de trois heures du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan divisera les critiques sûrement de la même façon, alors que le réalisme social des frères Dardenne avec Marion Cotillard comme tête d’affiche dans Deux jours, une nuit, mettra sûrement d’accord plus de monde.
Cronenberg est de retour avec une parabole du monde hollywoodien dans Maps to the Stars, deux ans après Cosmopolis. Côté classicisme, Atom Egoyan nous donnera une leçon avec son thriller psychologique Captives alors que Tommy Lee Jones signe son retour avec The Homesman, dans un genre qui a constitué sa marque de fabrique, à savoir le western, dans la droite lignée de Three Burials. Still the Water de la cinéaste japonaise Naomi Kawase ainsi que Leviathan du cinéaste russe Andrey Zvyagintsev seront sûrement moins abordables que le biopic de Mike Leigh sur le peintre William Turner et Jimmy’s Hall, le film d’époque que Ken Loach signe avec le scénariste du très réussi When The Wind Shakes The Barley. Du côté de l’Hexagone c’est le retour des cinéastes wanna be américain Olivier Assayas et Michel Hazanavicius ainsi que de Bertrand Bonello qui avait surpris en 2011 avec l’Appollinide. Cette fois-ci il vient à la Croisette avec un biopic sur Yves Saint Laurent, co-écrit avec Tomas Bidégain, scénariste notamment des films de Jacques Audiard, qui assurera cette année la masterclass, mais aussi du dernier film de Joaquim Lafosse, coproduit par Samsa Film et présenté l’année dernière dans la section Un certain regard.
Après avoir obtenu le Carosse d’Or en 2013, Jane Campion passe à la tête du jury de la compétition, et sera entouré du visionnaire chinois Jia Zhang-Ke, de l’acteur espagnol Gael García Bernal, du réalisateur danois mellevillien Nicolas Winding Refn ou encore du caméléon américain Willem Dafoe, qui incarnera Pier Paolo Pasolini dans le dernier film d’Abel Ferrara. Côté bling-bling, Sofia Coppola complète la liste avec les actrices Carole Bouquet (France), Leila Hatami (Iran) et Jeon Do-yeon (Corée du Sud). Mais les vraies perles sont peut-être à dénicher ailleurs cette année, notamment dans la Quinzaine des réalisateurs et la Semaine de la critique, où un road-movie intimiste mélangé à une série B d’anticipation ainsi qu’un film de loup garou féministe font déjà parler d’eux.