La force s'impose parce que les ONG n'ont pas réussi à persuader les demandeurs d'asile déboutés de partir volontairement. Tel était le commentaire cynique du ministre de la Justice, Luc Frieden (PCS), interrogé mercredi soir à la Radio socioculturelle 100,7 au sujet des expulsions des 2 et 3 août derniers et de l'émotion qu'elles ont provoquée. Les témoignages personnels des méthodes policières ont fait le tour des médias : deux familles albanaises et trois femmes bochniaques du Monténégro ont été expulsées manu militari, menottes aux poings, par avion charter vers Tirana respectivement vers Podgorica. La police est arrivée le matin, les personnes n'ont eu aucune chance, ni de faire leurs valises, ni de dire au revoir à leurs amis ou familles. L'une des familles albanaises a même été séparée du père, absent au moment de l'arrivée des forces de l'ordre... Autant de détails sur les méthodes inhumaines qui ont réveillé le Comité pour le respect des réfugiés et contre les retours forcés.
« Nous sommes choqués de ce qui s'est passé la semaine dernière, » s'offusquait, mercredi, lors d'une conférence de presse du Comité, Agnès Rausch, conseillère d'État et responsable des réfugiés auprès de Caritas. Car si l'association catholique a pu assister jusqu'à présent quelque 70 personnes lors de leur retour volontaire au Monténégro, grâce notamment à l'aide financière accordée par le gouvernement à l'emploi d'un assistant au Sandjak, Agnès Rausch craint maintenant que leurs efforts perdent toute crédibilité, que la fragile relation basée sur un respect total du libre choix des demandeurs d'asile, encore en procédure ou déboutés, soit ébranlée. La peur, la panique même habitent à nouveau ceux qui étaient venus chercher refuge au Luxembourg, majoritairement durant la guerre du Kosovo à laquelle le Grand-Duché a participé. Parqués dans les homes et hôtels loués par le gouvernement, ils sont forcément à la merci de l'État, sans ressources propres, sans droit de travailler.
« Le Comité est d'avis que les demandeurs d'asile qui, malgré les conditions difficiles dans lesquelles ils vivent ici, veulent rester, doivent bien avoir leurs raisons, » estimait, pour sa part, l'avocat Guy Thomas, qui assiste nombre de demandeurs d'asile dans leurs procédures de recours devant les tribunaux. Ces raisons sont majoritairement des raisons de sécurité pour les demandeurs et leurs familles. Mais le gouvernement luxembourgeois, dans la droite lignée de la tendance alarmante dans toute l'Europe, applique une interprétation extrêmement restrictive de la convention de Genève : entre le 1er janvier et le 30 juin de cette année, 1 041 personnes ont été déboutées du droit d'asile, 46 seulement ont obtenu le statut, soit un taux de reconnaissance de quatre pour cent sur le total des décisions. Si la police écrit, dans ses communiqués, que les personnes expulsées avaient épuisé tous les recours, Guy Thomas en appelle au principe de non-refoulement en cas de danger pour la personne au retour et explique que, de plus, des recours supplémentaires restaient possibles.
L'État voudrait-il montrer ses muscles, son pouvoir, en choisissant aussi aléatoirement les personnes à expulser - femmes et enfants d'abord, les plus faibles donc - comme il a arbitrairement choisi les dates butoirs pour les procédures de régularisation (excluant les réfugiés arrivés lors de la guerre du Kosovo, la grande majorité) ? Si Caritas regrette une telle stratégie, on peut en fait aussi y déceler une intention politique : dans la commission spéciale Immigration de la Chambre des députés, Luc Frieden aurait expliqué que les regroupements familiaux devraient se limiter à un stricte minimum, au noyau dur de la famille, pour qu'une intégration sans difficultés des futurs immigrés soit garantie (Luxemburger Wort du 8 août). Les discussions actuelles sur le Luxembourg des 700 000 habitants parlent d'importer de la main d'oeuvre pour couvrir les « besoins » du Luxembourg comme on le ferait de matières premières pour l'industrie. Et parmi les sans-papiers tombant sous les critères de régularisation, seuls ceux qui auront aussi trouvé un emploi pourront finalement rester. Et soudain, tout fait sens : une politique inhumaine, mais dans le seul intérêt de l'économie.
Lundi 20 août à 17 heures aura lieu une manifestation de solidarité organisée par le Comité pour le respect des réfugiés et contre les retours forcés pour manifester contre les expulsions, qu'il craint encore nombreuses durant l'été ; rendez-vous Place Clairefontaine.