Adolf el Assal est le genre de personnalité que le cinéma moderne adore. Le type a une humilité incroyable et réussit à faire l’anguille entre les mondanités du domaine. C’est simple, son cinéma est franc, affranchi et inspiré. Pris au sérieux depuis Divizionz, le Luxembourgeois trouve aujourd’hui une légitimité exponentielle. Choisi pour être l’un des ambassadeurs culturels du Luxembourg pour Dubaï 2020, à 38 ans, il sort son quatrième long-métrage Sawah, pour lequel il a reçu la plus importante aide financière de la part du Fonds national de soutien à la production audiovisuelle (Fonspa). C’est dire l’attente derrière ce projet…
Né en Égypte, Adolf el Assal grandit aux Émirats Arabe Unis avant d’atterrir au Luxembourg à l’âge de sept ans et de rester « coincé » dans ce « Grand Duchy of Luxembourg » qu’il finit par adorer. Petit à petit, le réalisateur fait son trou dans le milieu du cinéma. D’abord avec Divizionz, un premier film format « guérilla », tourné sans le sou en Ouganda, puis, dans cette même idée de production petit budget/court terme, avec Reste bien, mec ! qui lui permet d’accrocher le Film Fund et d’intégrer le cinéma luxembourgeois pro. Dans cette dynamique, il sort le court-métrage La fameuse route et embraye quelques années ensuite, avec Les Gars, un premier film « professionnel » plutôt bien reçu, qui le fait voyager au Canada, en France et en Belgique.
Autour de ces premiers projets entre débrouille et maladresse, idées brutes et novatrices, Adolf el Assal partage déjà ses influences, mais aussi ses problématiques principales autour de l’identité, l’immigration, le multiculturalisme, la tolérance… En utilisant le ressort comique comme soupape, conservant les accents, les langues, les couleurs, le réalisateur joue dans ses films avec des thématiques sensibles, définissant un style qui se fout du degré de lecture, pourvu qu’on y prenne du plaisir et que ça nous interpelle.
Ainsi, Sawah porte évidemment toutes ces aspirations. Le cinéaste livre un film heureux, aux accents humanistes, mettant en scène un héros égyptien dans un trip initiatique vers la Belgique qu’il n’atteindra jamais, bloqué malencontreusement au Luxembourg…
Après avoir remporté la passerelle nationale d’un concours de DJ, Samir alias DJ Skaarab (Karim Kassem) est invité à l’ultime finale internationale à Bruxelles. Mais tout part en vrille quand, via un transit à Luxembourg, il s’y retrouve coincé. Accueilli comme un immigré clandestin dans ce pays dont il ignorait complètement l’existence, Samir va tout faire pour trouver un moyen de disputer sa finale. Rejoindre Bruxelles de Luxembourg en 48 heures, ça paraît simple, mais avec la police ou la mafia locale sur le dos et la révolution qui éclate chez lui en Égypte dans la tête, tout se complique…
Soutenu par sa jeune maison de production Wady Films, qu’Adolf tient avec le directeur photo Nikos Welter et le scénariste Sirvan Marogy, cette nouvelle réalisation ne s’est pas faite avec des bouts de ficelles et ça se ressent. Même si le budget global n’est pas encore celui de Captain America, Sawah a tout de même profité de quelques millions d’euros, aidé notamment par le Film Fund (2,6 millions d’aide à la production), Deal Productions, Caviar Films et Film-Clinic.
Aussi, dans sa forme, Sawah suit une certaine ligne éditoriale entre le commercial et l’art et essai, d’abord pour toucher un public le plus large possible, ensuite pour soutenir les thématiques sur lesquelles travaille Adolf el Assal qui signe de fait, un film aux bribes autobiographiques. D’ailleurs, le réalisateur ne manque pas de rappeler que Sawah est le premier opus d’un triptyque basé sur des épisodes de sa vie. C’est donc une vision très personnelle du cinéma que nous donne le Luxembourgeois, qui tire l’essence de ce film par une sincérité forte dans le traitement du sujet et une dynamique familiale tant dans la façon dont il a été tourné que dans ce que le film donne à voir.
Cette comédie dramatique menée, dès le début, comme un happy end sans surprise, montre tout de même une histoire pleine de bonnes intentions. En prenant pour personnage principal un Égyptien belle gueule, vivant la nuit, El Assal se permet néanmoins d’infiltrer dans son film des préoccupations plus sérieuses comme les contestations du Printemps Arabe, les débats sur l’immigration ou les stéréotypes raciaux. Sans prendre pour autant position, l’équipe de Sawah utilise cette dramaturgie solide pour mener le film dans un récit léger, entre tolérance et générosité.
Pourtant, si la réalisation est propre, donnant de belles images, un étalonnage pointu et une photographie plaisante, l’exécution cumule quelques écueils : le casting est déséquilibré, bien que soudé, les dialogues parfois potaches, même s’ils font sourire et malgré le beau travail du compositeur Éric Bintz alias Cehashi sur la bande originale, on regrette que le volet « musique » de Sawah n’ait pas une plus grande importance. La scène musicale égyptienne, florissante depuis la révolution justement – avec l’avènement du mouvement mahraganat –, aurait gagné à être mieux représentée dans ce film en co-production égyptienne.