En quelques heures, le « Brexit » a presque donné le coup d’envoi en France de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017. Instantanément, le vote historique des Britanniques pour sortir de l’Union européenne a fait resurgir les clivages français et replacé l’Europe au cœur du débat politique hexagonal. Le scrutin présidentiel se jouera « aussi sur la question européenne », a insisté François Hollande.
À peine connu le résultat du vote britannique au matin du 24 juin, le chef de l’État a choisi de s’exprimer rapidement, et à le mettre en évidence, comme pour profiter du choc. Il a d’emblée insisté sur son souhait que le divorce soit rapide, alors que la chancelière Angela Merkel semblait adopter un ton moins ferme vis-à-vis de Londres. Il a ensuite réuni un conseil des ministres extraordinaire. Et le lendemain, il a reçu à l’Élysée les dirigeants des principaux courants politiques, du Parti socialiste à Nicolas Sarkozy pour la droite, avant Jean-Luc Mélenchon pour la gauche de la gauche et Marine Le Pen pour le Front national.
Sans surprise, la dirigeante d’extrême droite s’est réjouie du « Brexit », réclamant aussitôt un référendum similaire en France. Mais c’est la seule à avoir adopté cette position. À gauche, Jean-Luc Mélenchon a défendu « la sortie des traités » budgétaire et de Lisbonne. L’ex-ministre de l’Économie Arnaud Montebourg, qui cache de moins en moins sa volonté d’être candidat, a lui regretté que l’UE se soit « construite contre les peuples » et il a dévoilé une proposition de reconfiguration drastique de la Commission européenne, comme « un simple secrétariat du Conseil européen ». « Si on passe de 34 000 à 1 000 fonctionnaires, a-t-il dit, cela suffira bien ».
À droite, l’Europe s’est clairement invitée dans la primaire des 20 et 27 novembre prochains, avec des clivages forts. L’ex-président Nicolas Sarkozy souhaite négocier rapidement un nouveau traité, mais il est isolé sur ce point. Bruno Le Maire est lui partisan d’un référendum sur un nouveau projet européen, mais l’ex-Premier ministre Alain Juppé a été formel : « organiser aujourd’hui un référendum en France serait irresponsable ». Malgré cela, le parti Les Républicains est parvenu à une position minimale à l’unanimité : arrêt du processus d’élargissement, en particulier à la Turquie ; instauration d’un « Schengen 2 » pour faire respecter les frontières extérieures ; et nécessité d’un gouvernement économique de la zone euro.
Dans ce cadre d’une forte demande de « frontières européennes », François Hollande a, lui, cherché à se placer au-dessus de la mêlée, en réclamant une Europe de la sécurité et de la défense « qui protège ». Mais aussi à se démarquer de Nicolas Sarkozy, son potentiel adversaire en 2017, en insistant pour « ne pas bouleverser les traités ».
Point d’orgue de six journées un peu folles, le Conseil européen à Vingt-Sept du mercredi 29 juin, emmené par la France, s’est conclu sur une position ferme vis-à-vis du Royaume-Uni, ce qu’avait proposé d’emblée François Hollande. Plusieurs raisons y poussaient : réaffirmer l’unité de l’UE pour éviter la contagion à d’autres pays et empêcher Londres de commencer à discuter de ce qui l’arrange avant même d’avoir actionné l’article 50 qui enclenche un compte-à-rebours de deux ans avant la sortie de l’Union. Pour autant, dans la nouvelle configuration européenne, la France va-t-elle pouvoir continuer à avancer ses pions?
Après tout, les Français étaient, selon les sondages, les moins défavorables au « Brexit », vraisemblablement parce que Londres a toujours prôné une Europe peu politique, très large et très libre-échangiste, alors que Paris penche historiquement pour une Europe politique et plutôt protectionniste. Et le Royaume-Uni « out », l’Allemagne d’Angela Merkel est désormais privée d’un allié pour poursuivre les politiques libérales et d’austérité, l’Italie devenant de facto le troisième pays de l’UE, comme l’a reflété la rencontre Merkel-Hollande-Renzi du 27 juin à Berlin.
Après avoir beaucoup consulté les pays du Sud, mais aussi des pays de l’Est pour qu’ils ne se sentent pas tenus à l’écart, François Hollande a réaffirmé la volonté française d’un gouvernement économique de la zone euro, avec un budget et un Parlement propres. De son côté, le Premier ministre Manuel Valls a tiré les conclusions de la montée de l’euroscepticisme chez les peuples : il a rejeté « l’Europe punitive, acquise aux thèses ultralibérales et à l’austérité budgétaire », il a affirmé qu’il ne pouvait « pas y avoir d’accord de traité transatlantique » (Tafta), il a réclamé de « bannir le dumping social (et) fiscal au sein même de l’Union » et « le travail détaché illégal (qui) fait des ravages », tout en lançant un plaidoyer en faveur des Parlements nationaux.
Mais ces changements prônés par la France ont-ils des chances d’aboutir ? Alors même que Manuel Valls parlait dans l’Hexagone, le Conseil européen donnait son feu vert à la poursuite des négociations du Tafta. Plus emblématique encore, la Commission européenne a proposé de ne pas consulter les Parlements nationaux sur l’accord avec le Canada, le Ceta ! Sur le plan budgétaire, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble continue à prôner la fermeté avec l’Espagne et le Portugal et à refuser toute mutualisation des dettes. Quant à la Commission, elle paraît une nouvelle fois avoir cédé aux lobbies en autorisant 18 mois de plus le glyphosate.
Toutes ces décisions ne vont pas dans le sens d’un changement en Europe, comme beaucoup l’ont souhaité après le vote des Britanniques, mais témoignent plutôt d’un statu quo. « En quelques jours, l’UE a confirmé quelques-unes des accusations qui alimentent régulièrement le discours eurosceptique : éloignée du terrain, craignant le débat démocratique, obsédée par l'austérité et les grands équilibres, incapable de pragmatisme, faible avec les multinationales fortes, et forte avec les États faibles », a écrit dans La Tribune le journaliste Romaric Godin, pour qui le statu quo pourrait même être « la seule stratégie européenne ».
Un bémol de taille, tout de même. Mardi 5 juillet, devant l’insistance de plusieurs États membres dont la France, l’Allemagne ou le Luxembourg, la Commission européenne a finalement consenti, à contre-cœur, à ce que les parlements nationaux se prononcent sur le traité commercial entre l’UE et le Canada. Ce type de décision est-il de nature à combler le fossé entre l’Europe actuelle et celle que les Français appellent de leurs vœux, moins libre-échangiste et plus démocratique ? À long terme peut-être, si d’autres changements similaires ont lieu. Mais à court terme, rien n’est moins sûr.
Car François Hollande, qui tente de profiter du « Brexit », peine à retrouver la confiance des Français. Sa cote de popularité reste au plus bas et Marine Le Pen est, selon les sondages, assurée d’être au second tour de la présidentielle. Le quinquennat a engendré un million de chômeurs en plus, les licenciements dus au libre-échange continuent, la loi travail est perçue comme dictée par Bruxelles et continue d’être rejetée par les deux tiers des Français… En 2012, le candidat Hollande avait promis une « réorientation de l’Europe », avant d’avaliser sans broncher le traité budgétaire. Cette fois, c’est la confiance qui manque.