Qui sème le vent récolte la tempête. Il y a un an, le gouvernement luxembourgeois participait encore à la guerre du Kosovo et aux bombardements de la Serbie par l'Otan. Depuis l'« opération Milano » en novembre dernier, et l'opposition publique face à de telles manières d'expulsion inhumaines, le gouvernement luxembourgeois opère plus discrètement, en cultivant une franche hostilité de la population envers les réfugiés. Qui, eux, sont gardés dans des conditions précaires, avec la peur des lendemains incertains dans le ventre. Depuis l'expulsion d'un ressortissant algérien présumé « armé et violent » en juillet dernier, et les protestations virulentes de quelques activistes engagés au Findel, le gouvernement - et surtout le Premier ministre Jean-Claude Juncker (PCS) plein d'indignation face à ces méthodes un peu plus musclées - a apparemment réussi à intimider, voire à diviser, les ONGs. Il y a pour cela la menace du chéquier, i.e. des subventions dont dépendent les asbl. Contrairement aux attentes, l'été s'est passé dans le calme.
Pourtant, le gouvernement luxembourgeois ne laisse aucun doute quant à ses intentions : faire partir un maximum de personnes avant la rentrée scolaire, c'est-à-dire avant trois semaines. Pour sauver l'apparence d'une « politique équitable » (Luc Frieden sur RTL ;18 août), rien n'est trop cher : la ministre des Affaires étrangères Lydie Polfer (PDL) voyage dans les Balkans en juin, rencontrer entre autres les responsables politiques monténégrins pour « confirmer le plein appui du gouvernement luxembourgeois (...) à la voie démocratique poursuivie par les responsables monténégrins » et assurer « la disponibilité du gouvernement luxembourgeois à poursuivre la coopération déjà engagée » (SIP, 8 juin 2000).
Le ministre de la coopération Charles Goerens (PDL) vante devant les caméras luxembourgeoises les vertus des plants de pommes de terre de l'Oesling destinés au Monténégro. Les collaborateurs du ministère des Affaires étrangères se suivent au Monténégro et ne laissent aucun doute, lors de leur passage, quant à la ferme intention du gouvernement luxembourgeois à renvoyer les réfugiés monténégrins chez eux. Et ce dans une situation politiquement plus que précaire, toute la région attendant avec beaucoup de tensions les élections fédérales du 24 septembre. Des élections que Slobodan Milosevic risque de remporter et que le Monténégro veut boycotter tout en annonçant un référendum sur son indépendance.
Le rapport de l'Office international pour les migrations (OIM) note laconiquement : « Considering this situation it would be appropriate to prospect to the asylum seekers currently hosted in Luxembourg the opportunity to leave their hosting country being sure that in the case of a civil war or a real danger for their life, the Government of Luxembourg will re-offer them temporary protection. » Afin d'avoir des arguments chiffrés pour encourager les retours des réfugiés originaires du Monténégro chez eux, le gouvernement a acheté cette étude de faisabilité auprès de l'organe intergouvernemental qu'est OIM. Le document final est un comble du cynisme, parce que l'Office essaye de donner raison à son client, mais en fait, entre les lignes, tout indique le contraire.
L'étude à été effectuée entre le 15 mai et le 15 juillet de cette année, avec 1 333 questionnaires remplis par des demandeurs d'asile au Luxembourg d'une part1, et par des visites dans les villages de Rozaje, Bijelo Polje et Berane dans le Sandjak, dont sont issus la majorité de ces réfugiés, d'autre part.
Les résultats sont clairs et nets et décourageraient en fait plutôt un retour des réfugiés : « The return of the asylum seekers will add burden to an already desperate local situation where all services provided by the local authorities are suffering for lack of funds and investment » et, plus loin : « In these conditions, the interventions of any external element, including the repatriation of the asylum seekers, could have a dramatic impact on the public structures and facilitate their collapse » (page 5). Le Monténégro, avec ses quelque 615 000 habitants seulement, accueille déjà plus de 60 000 réfugiés des autres pays de l'ex-fédération yougoslave. L'OIM préconise que le gouvernement luxembourgeois investisse dans tous les secteurs : économie, éducation, santé, infrastructures routières... avant d'envisager un retour des réfugiés. Le Grand-Duché préfèrera investir là-bas plutôt que d'accueillir ici.
Les retours volontaires n'existent pas
Voilà un des résultats très clairs de l'étude : 87 pour cent des réfugiés interrogés affirment ne pas vouloir partir - et cela malgré les incitations financières du gouvernement luxembourgeois. Les raisons principales de leur départ furent la situation peu sûre dans leur région d'origine et la conscription militaire. Or, la majorité des demandeurs interrogés (84 pour cent) sont des musulmans du Sandjak ; malgré le fait qu'il s'agisse de la plus grande minorité ethnique du Monténégro (quinze pour cent de la population, selon le recensement de 1991), les musulmans sont constamment soumis sinon à des discriminations, au moins à des pressions.
Tout comme l'armée, la police militaire (septième bataillon) est omniprésente au Monténégro, spécialement aux régions frontières du Nord, affirme encore le rapport de l'OIM. Répondant aux menaces d'une guerre civile, Podgorica en profite pour armer sa police. « Despite the two parts have the means to potentially handle a real crisis at the moment their interest is just to keep high the level of political tension. (...) A Montenegro that is separate from Serbia or not harassed by Belgrade would have less political and strategic value and would certainly not attract the attention of the international community ».
« Laut Auskunft des montenegrinischen Ministeriums für Minderheitenschutz, war während der vergangenen zehn Jahre der Druck auf die bosnjakischen jungen Männer im Sandzak enorm hoch, » écrit pour sa part Rahel Bösch dans son rapport sur le Monténégro pour le compte de l'Organisation suisse aux réfugiés (juin 2000) avant de continuer que l'idée même de devoir combattre pour le compte de l'armée serbe contre les musulmans de Bosnie-Herzégovine ou du Kosovo était pour beaucoup des jeunes hommes une raison principale pour émigrer.
Plus de la moitié (52 pour cent) des réfugiés vivant au Luxembourg interrogés par l'OIM affirment avoir fui le service militaire, treize pour cent se considèrent même déserteurs. Selon l'OIM « it is necessary to consider that after their repatriation they will be exposed to the possibility to be arrested by the military police » mais qu'une arrestation suivi par un enrôlement de force dans l'armée « is the price that has to be paid if one wants to come back and live in Montenegro ». L'OIM ne pourrait être plus cynique, sachant pertinemment que, justement, personne ne veut retourner.
Et personne ne veut qu'ils reviennent, c'est ce que les visites de l'OIM dans les villages d'origine ont prouvé : la principale source de revenus de beaucoup de foyers y est l'argent envoyé par les membres émigrés. « According to these people there are no conditions for the rapatriation of the people currently hosted in Luxembourg because they will not have any opportunity to work in this community, » et « they will probably leave Montenegro again ».
Mais à ce moment-là, au moins le Luxembourg en sera débarrassé, c'est tout ce qui semble compter pour le gouvernement PCS/PDL. Car la politique de la générosité affichée en 1999 est terminée, tout est fait pour que les demandeurs d'asile partent, de préférence de leur plein gré. Mais, après les encouragements financiers pour retours volontaires, les ordres de quitter le territoire, le peur semée à coups de relogements et l'étude pour la bonne conscience, la prochaine étape seront des expulsions, à cela Luc Frieden ne laisse aucun doute.
Car le 28 septembre, le Luxembourg se fêtera frénétiquement, soi, son identité, son nouveau grand-duc. Et l'identité nationale qui s'auto-célébrera ce jour-là à coup de feux d'artifices vantards sera blanche, riche, occidentale et catholique. Pas de place pour des réfugiés à la recherche de protection. Musulmans de surcroît.
1 3 200 personnes auraient été ainsi atteintes, mais il n'est jamais spécifié à quel groupe ces personnes appartiennent et quel fut l'échantillon auprès des bochniaques du Sandjak, et ce ne sont pas les moindres imprécisions méthodologiques. Ainsi, le rapport ne cite aucune source pour ses affirmations, par exemple celle que les demandeurs d'asile arriveraient surtout au Luxembourg par le biais de contrebandiers.