Depuis quelques semaines, la grève s’invite de nouveau dans le paysage du pays qui en a fait sa spécialité : la France. Alors que les dommages collatéraux des grèves de notre voisin se font ressentir jusqu’au Grand-Duché, créant le chaos dans les transports et sur les routes, il y a une autre grève qui est de fait passée un peu à la trappe, ou du moins dans l’ombre de la révolte française. Une grève que nous ne souhaiterions plus jamais devoir faire, ne plus jamais devoir l’écrire dans un agenda ou recevoir des messages les plus condescendants les uns que les autres, que ce soit de l’employeur, du collègue ou de la société, pour nous souhaiter une bonne journée des femmes, à nous les femmes. La semaine dernière a eu lieu, comme chaque année le 8 mars, la Journée Internationale des Femmes. Née au début du 20e siècle sur le continent américain et européen, jusqu’en Russie Soviétique, ce mouvement est né du milieu ouvrier et socialiste et est bel et bien un mouvement féministe (non ce n’est pas un gros mot), qui lutte pour les droits des femmes et tout particulièrement pour la fin des inégalités entre les hommes et les femmes. Même si les évolutions ont été nombreuses depuis 1909, il existe toujours beaucoup trop d’inégalités, de violences, de traitements différents, de manque d’accès à l’éducation, la santé, etc. On l’a vu les derniers mois, emporter par une crise sanitaire, économique, identitaire, les droits des femmes sont les premiers à reculer. Evidemment, le recul sur le droit constitutionnel à l’avortement aux Etats-Unis ou le retour de l’interdiction aux femmes d’accéder aux études, imposée par les Talibans en Afghanistan, nous font penser à Simone de Beauvoir et sa célèbre citation, issue de son ouvrage Le Deuxième sexe » en 1949 : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ». Depuis son ouvrage en 1949, il est affligeant, même si des évolutions notables ont eu lieu, de constater que le sexe féminin est encore le deuxième sexe, qu’il est toujours traité, par les sociologues et spécialistes des genres comme une minorité. Une minorité qui représente la moitié de la population mondiale, participant également à l’économie et à la vie en société, une minorité qui vit en moyenne cinq à dix ans de plus que la majorité, une minorité qui est celle-ci bien visible, puisque leur corps est en permanence exploité et exposé au monde. Il faut tout de même noter un grand nombre d’avancées dans les droits, l’égalité, mais aussi la lutte qui n’est plus aujourd’hui qu’une simple histoire de « bonnes femmes » mais qui est une lutte que nous devons mener ensemble, toutes les minorités et majorités inclus. Il y a eu des avancées significatives ces 114 années (oui ça fait plus d’un siècle), la plus ironique mais symbolique est qu’enfin les publicités pour les protections hygiéniques utilisent un semblant de rouge (rosé) pour illustrer les menstruations et plus bleu. C’est peut-être un détail, mais en terme de représentation, c’est beaucoup. Ouvrir la discussion, honnêtement, sans non-dits, c’est ce que le terme « grêve » utilisé par CID Fraen an Gender veut dire. Il ne s’agit pas seulement d’une grève qui, au sens stricte et professionnel, est une cessation collective et concertée du travail afin de contraindre l’employeur ou l’Etat (dans le cas français) à la négociation. Il ne s’agit pas ici de négociation, ni de contrainte, il n’y a pas de négociation possible quand il s’agit de justice sociale. La g(rêve) est devenue cette année une marche féministe dans la terminologie des organisateurs, non pas que le rêve soit abandonné, mais parce que le rêve a plus à voir avec l’imaginaire qu’avec la réalité. Les luttes, que ce soit pour les retraites, pour les acquis sociaux, pour une justice sociale pour tous, ne sont pas des chimères ou des fantasmes de société, ni des caprices, comme certains voudraient l’entendre et le dire, les grèves ou g(rêves) sont des outils puissants pour les citoyens pour prendre le contrôle sur leurs destinées, sur le vivre-ensemble, sur la société de demain. Les femmes et les hommes ont marché de nouveau le 8 mars dernier, pour demander, en cette période électorale que la question des genres et de l’égalité soit inclus dans toutes les politiques du pays, quel que soit le bord, pour un avenir durable. Les hommes et les femmes continueront de marcher, tant qu’il le faudra et tant que le régime politique le permettra..
Patrick Jacquemot
Kategorien: Stil
Ausgabe: 10.03.2023