Introduction Un jour, les livres auront disparu. Et avec eux, le métier de Samantha Hutmacher... À 37 ans, la relieuse n’ose pas envisager le scénario. Elle qui a déjà consacré la moitié de sa jeune existence à l’art d’unir entre eux des feuillets, à les protéger, à leur offrir la plus belle parure ne se résout pas à l’idée. D’un geste de la main elle bloque donc ce noir dessein ; de cette même main qui lui sert habituellement à caresser la couverture de ses protégés.
Mains fortes, mains douces, mains au travail en tous cas. Oui, Samantha se revendique volontiers « manuelle ». « D’ailleurs, je n’aurais jamais voulu faire un travail administratif, il fallait que je créée. J’ai fait de la facturation dans un bureau et ma seule satisfaction a été d’en finir avec ça… », s’amuse-t-elle.
Chapitre 1 Un job d’été à l’imprimerie Victor Buck allait orienter son destin. Merci Oncle Yves… La suite passera par le Lycée des Arts & Métiers, un apprentissage où elle sera la seule fille de sa promo à s’intéresser à la reliure. « Mais à 18 ans, je savais que j’avais trouvé mon métier, ma passion. » Vingt ans plus tard, la flamme ne l’a pas quittée. Elle brûle désormais au service de la Ville de Luxembourg où Samantha Hutmacher exerce son art/isanat. Eh oui, parmi les quelque 4 300 personnels au service de la capitale, on compte aussi des relieurs. « Des relieuses, même puisque nous sommes trois femmes à effectuer ce type de travaux. Fini le temps où il n’y avait que des hommes, sous prétexte que l’histoire de la profession reposait depuis des siècles sur l’exemple des moines qui, inlassablement, avaient écrit, orné et rassemblé les pages de la Bible ».
Chapitre 2 Maman active, Samantha reconnaît volontiers que « la reliure représente un côté calme, réfléchi ». Car là où le néophyte ne voit qu’un travail d’habileté, la relieuse rappelle volontiers que chaque livre à réaliser sera unique, le fruit d’une patiente réflexion autour d’un projet avec des techniques particulières, des outils différents, des intentions variables. « Choisir si l’on va coudre, coller ou attacher des pages entre elles, ce n’est pas juste pile-ou-face. » Et ses mains, toujours elles, de virevolter pour mimer les mille et une étapes marquant la progression d’une création.
Feuilles à massicoter droit ou tailler en doux arrondi, dos qu’il faudra courber, dorure qu’il faut intégrer sans trembler, et puis ces couvertures dont il faudra choisir la matière. Personnellement, sa préférence va au cuir de chèvre, le « top du top ». L’exact inverse de la peau de cochon, « le pire du pire »… Mais il y a aussi la toile, le carton, le liège, le molleton pour les intérieurs, la peau de serpent pour entourer une cassette, etc.
Chapitre 3 Poussiéreux comme job ? Les doigts de Samantha assurent que non d’un aller-retour devant son visage. D’ailleurs, régulièrement, elle se remet à niveau en allant suivre des formations, à Ascona en Suisse. Pas pour une question de modernité certes, mais bien de peaufiner un apprentissage mille fois remis sur l’ouvrage. « Petit à petit, on nous demande de plus en plus de préserver de vieux documents papier de la Ville, c’est une technique que je dois parfaire. Disons que pour l’heure je répare plus que je ne restaure. »
Reste qu’au-delà des coffrets offerts aux personnalités invitées par la bourgmestre ou l’indispensable reliure des actes de naissance, le travail offre parfois l’occasion d’élaborer de précieux ouvrage. À l’exemple des livres de condoléances que Luxembourg-ville avaient mis à la disposition du public à l’occasion des obsèques du Grand-Duc Jean. « Quand je pense que ces recueils que j’ai faits de mes mains ont fini au Palais, je ne peux que me sentir fière. » Et la trentenaire de se reprendre, « enfin, fière de mon travail ». Les artisans aux mains d’or ont décidément une modestie plus précieuse encore.
Conclusion Mais au fait quelle lectrice est Samantha Hutmacher ? Quels sont ses livres coups de cœur ? À la question, aucun titre ne lui vient. Logique : elle ne lit pas, elle relie nuance… Mais quand elle parle de son ouvrage, c’est tout un roman alors on lui pardonne d’avoir plus d’attachement aux papiers qu’aux mots.