Marco Godinho est un artiste aux talents multiples qui expose actuellement simultanément dans deux lieux d’exposition à Luxembourg : des installations dans les nouveaux locaux de l’Institut Camoes à Merl et des vidéos dans la Blackbox du Casino Luxembourg. Le point commun – et le lien entre ces deux manifestations –, c’est l’incessant voyage qu’effectue Marco Godinho entre les cultures, les langues, la mémoire et le présent, l’histoire et la géographie. La frise qui court sur les murs de l’Institut Camões est peut-être conceptuellement parlant, s’il faut choisir, celle qui explicite le mieux ce propos de manière générale. Les titres des articles du journal Le Monde, toutes rubriques confondues – politique, société, culture, sport, etc. –, que Godinho a lus depuis bientôt dix ans, forment une sorte de paysage de montagnes, un horizon sociologique des heurs et malheurs subis ou provoqués par l’homme. On peut tout aussi bien y voir un horizon géographique, une échelle de mesures sismiques.
Comment tracer son propre chemin dans un monde qui actuellement aurait plutôt tendance à se refermer ? Demandez à Marco Godinho et il vous répondra de façon optimiste (l’artiste est né en 1978 au Portugal, a grandi au Luxembourg et qui vit désormais entre le grand-duché et Paris), avec sa double culture, croit très fort en l’avenir du métissage. Il n’en est pas pour autant naïf et – toujours à l’Institut Camões, un Buddha Dharma tourne, en se cachant les yeux, sur lui même, au centre d’une rose des vents qui a perdu le Nord…, tout comme une vieille balance, issue de l’héritage familier de l’artiste, montre l’équilibre précaire entre le tout ou rien, la vie et la mort : un plateau est plein à ras bord de sel, indispensable à la vie et l’autre désespérément vide.
Un autre objet, hérité de la famille et du métier de son père, est un niveau à bulle, un outil de maçon donc, posé à même l’horizontalité – ou l’horizon du sol –, où une inscription nous rappelle que nous tournons en rond, consumés par le feu… Est-ce la flamme de ce feu qui bouge et vacille, disparaît même au gré du passage des nuages devant le soleil que Marco Godinho donne à voir avec Disappearance ? Une vidéo tournée en 2011 au Parc central du Kirchberg ne montre que l’ombre projetée au sol d’un des drapeaux (blancs) qu’il avait installés là, rendant un hommage aux Institutions européennes toutes proches, mais interrogeant ici, à travers cette projection au sol éphémère et vacillante, l’avenir du Continent européen...
Cette vidéo, on la retrouve parmi les sept films projetés au Casino. Abandonnant ses outils habituels – crayon, écriture, installations, concepts élaborés au fil de ses lectures, de ses collectes d’objets, de carnets de notes, etc., Marco Godinho présente ici plusieurs années de « filmographie » sur et dans des lieux réels, sans autre scénario que le regard spontané de la caméra sur ses propres déambulations nomades. Ainsi d’une marche dans un tunnel naturel entièrement noir en Norvège effectué en 2008, au bout de laquelle apparaissent baignés de lumière, un berger et son troupeau de moutons. Ce sont là dix minutes hallucinées, entre mystique et mythe – on pense à un troupeau antique qu’Ulysse aurait pu voir il y a plus de 2 500 ans…
Godinho nous entraîne aussi sur la ligne de crête de l’extrême pointe occidentale entre l’Atlantique et l’Europe, à Cabo de Roca, filmant ses pieds et sa marche hasardeuse, tel un funambule entre la terre ferme et l’Océan, ou dans les entrailles du grès luxembourgeois, dans la fouille très profonde d’où va émerger le nouveau Parlement européen au Kirchberg.
Mais la vidéo la plus émouvante, est assurément celle où Marco Godinho fait se rencontrer dans l’ancienne colonie portugaise de Macao, les traces de l’architecture et de l’art des jardins portugais, de la littérature lusophone (c’est ici que Camões aurait écrit Les Lusiades, l’Odyssée de la Nation portugaise) et ses habitants d’aujourd’hui. Ici, dans ce parc dessiné par les anciens colonisateurs, se rejoignent l’aujourd’hui et l’hier, sous la forme des instruments de remise en forme contemporains et des gestes immémoriaux du Ki gong.