Pour commencer, qu’on ne prenne pas l’expression de marque de fabrique dans un sens péjoratif, autrement je dirai signe de reconnaissance. Mais il s’agit de sculpture, et le travail, la fabrication justement, voire la lutte avec tel matériau, voilà ce qui compte, s’avère primordial. Il est les lapins de Barry Flanagan, ils sont toujours là, après la mort de leur auteur ; ou les tourbillons de Tony Cragg où à quelque bout du mouvement se laissent deviner les traits d’un visage. Ne continuons pas l’énumération, mais on finirait inévitablement par la statuaire de Stephan Balkenhol, vous les connaissez, ces personnages, hommes ou femmes, des fois aussi des animaux, depuis les années 1990, qui sont debout, immobiles, comme figés dans une pose un peu resserrée, les vêtements coloriés, sur le socle avec lequel ils sont inséparables ; car socle et figure sont taillés dans le même bloc de bois.
C’est la quatrième fois que Stephan Balkenhol expose à la galerie NosbaumReding, pas de surprise donc à en attendre. Et pourtant, à y regarder de plus près, à tourner autour comme il se doit, le sourire vous vient aux lèvres quant au face à face d’un homme et d’une femme, petite scène dès l’entrée, et au visiteur d’interpréter leurs attitudes, de pronostiquer par exemple si l’homme a quelque chance avec les fleurs qu’il tient ou cache dans la main gauche.
Stephan Balkenhol a été l’assistant d’Ulrich Rückriem ; lui travaille dans la pierre, peut être associé à l’art minimaliste ou conceptuel. D’où un double éloignement, écart, dans le bois et la figuration. Ce que les deux ont toujours en commun, c’est l’attention au matériau, et ce que sont chez Rückriem les marques de la cassure, du découpage, chez Balkenhol, il y a plus encore, le travail sur le bois même, comme les coups de ciseau, éclats, échardes, et nœuds et fêlures qui lui appartiennent. Sans parler de ce qui va se passer avec le temps. Si les personnages de Balkenhol n’expriment guère d’émotion, on les dira inexpressifs, ce qui peut même les rapprocher de l’abstraction, à moins qu’on n’y voie l’illustration d’une certaine anonymisation du sujet, voire déshumanisation.
Retour au socle dont on sait combien et de quelle façon il fait partie de la sculpture, au plus tard depuis Brancusi. Et Balkenhol joue parfaitement de cette relation, variant la taille de la figure, la hauteur du socle. Bien plus, passons dans le hall de la gare de Metz, où il a enlevé le personnage à notre regard, il y a pour ainsi dire sublimé Jean Moulin ; autre tour (imposé quand même), la façon dont il a mis son Richard Wagner à lui, en bronze avec son ombre démesurée derrière le compositeur, sur le socle orphelin de Max Klinger, c’est à Leipzig.
L’exposition comporte outre les sculptures dont un lion, des reliefs, torse de femme, tête de lion encore, en format plus réduit, d’autres plus imposants avec une silhouette d’homme comme en creux sur une carte géographique des environs de Luxembourg, ailleurs une sirène dans un paysage urbain nocturne ; œuvres que l’on trouvera peut-être trop de circonstance, ou hommage au lieu de l’exposition, Balkenhol n’est pas un étranger dans le pays, il n’y a qu’à évoquer les portraits grand-ducaux à l’entrée du Mudam.
La statuaire de Stephan Balkenhol, son art en général, s’inscrit dans la tradition de la sculpture médiévale polychrome ; on est bien au-delà (ou en-deçà) de Rückriem. Quand même, ce dernier a débuté dans la Dombauhütte à Cologne, il a même travaillé lui aussi le bois vers 1966/67. Voilà pour les références tant soit peu culturelles ; les dessins qui figurent dans l’exposition, eux, vont sans doute dans une autre direction, qu’on dira populaire, ou naïve. Il en naît jusque dans les sculptures une certaine tension, c’est direct, et pourtant ça garde quelque chose de secret, de quoi rendre plus vif l’attrait.