Publiée le 8 février, la dernière étude du cabinet KPMG Suisse en collaboration avec l’Université de Saint-Gall analyse le secteur du private banking en Suisse, au Luxembourg, en Autriche, à Hong-Kong et à Singapour. Intitulée Performance through focus – seizing the global private banking opportunity, elle constate d’abord que, bien que le nombre de clients potentiels ne cesse d’augmenter, le contexte d’exercice de l’activité est devenu difficile : forte volatilité des marchés, faibles taux d’intérêt, poids de la réglementation, érosion des marges.
Le rapport regrette le manque de vision et de stratégie claire dans une grande partie des 82 institutions bancaires étudiées. Une très large majorité (80 à 90 pour cent, selon les pays) ont surtout cherché jusqu’ici à agir sur leurs coûts, une politique qui trouve rapidement ses limites. Il faut désormais jouer sur d’autres registres. Sur la plupart des sept leviers possibles pour doper leur croissance, les banques luxembourgeoises tirent bien leur épingle du jeu, mais la technologie reste leur point faible.
Pour se différencier, les banques privées n’hésitent pas à mettre en avant les vertus de leurs pays d’origine, vantant sa stabilité politique et la confidentialité dont bénéficient les clients (90 pour cent). Les banques asiatiques et luxembourgeoises argumentent davantage sur la stabilité fiscale (respectivement 90 et 75 pour cent) que les suisses (58), ces dernières préférant évoquer l’expertise locale (80). Presque tous les établissements asiatiques jouent également sur ce registre, mais curieusement à peine 60 pour cent des Luxembourgeois, un niveau comparable à celui observé en Autriche.
Concernant les points forts des banques elles-mêmes, il existe des points communs entre les banques suisses et luxembourgeoises. L’accent mis sur la culture financière par exemple (respectivement 80 et 90 pour cent), tout comme l’importance de la marque (60 et 65 pour cent) et la qualité des chargés de relation (70 et 65). Mais le Luxembourg insiste davantage sur l’ingénierie financière (75 pour cent des banques la citent, contre 40 en Suisse) et sur la gamme de produits (60 pour cent contre 35 en Suisse). Les banques asiatiques argumentent également sur les produits, mais encore plus sur les compétences du personnel en matière de conseil. Dans tous les pays étudiés, le niveau des prix et la technologie ne sont cités que par une banque sur cinq environ.
L’activité internationale, essentiellement générée avec les clients des marchés en croissance, est un incontestable vecteur de croissance. Seules les banques suisses affichent une stratégie de croissance géographique des Suisses « tous azimuts » (Asie, Moyen-Orient, Amérique Latine, Europe de l’est). Leurs homologues asiatiques se limitent à exploiter le potentiel de leur région (Inde, Chine, Indonésie) et les banques autrichiennes celui des pays du centre et de l’est de l’Europe, Russie comprise. Les Luxembourgeois privilégient une clientèle de proximité en Europe. Dans tous les cas ces ambitions trouvent leurs limites dans les investissements à consentir pour servir la clientèle étrangère (surtout en cas d’implantations sur place) et pour s’adapter aux réglementations locales qui ont tendance à se renforcer. Pour KPMG, il devient « nécessaire de se concentrer clairement sur les marchés cibles visés et de se retirer résolument des autres pays ».
L’exigence de conformité fiscale, encore limitée en Asie, pèse lourdement sur les banques privées européennes, compte tenu de la pression politique des États-Unis, de l’UE, de l’OCDE et du G20. Ici, le rapport note que les banques du Luxembourg sont nettement plus avancées dans la mise en œuvre de stratégies compatibles avec la nouvelle fiscalité que les établissements suisses. 71 pour cent d’entre elles envisagent d’aboutir à une transparence totale dans l’année à venir, 92 au plus tard dans les cinq ans. Fidèles à leur réputation, les Suisses sont moins pressés : à peine un quart des banques pensent se mettre en conformité dans l’année, 70 pour cent dans les cinq ans, sans doute à cause de leurs relations difficiles avec l’Allemagne et les États-Unis notamment.
Les banques luxembourgeoises sont également plus avancées que leurs consœurs en matière de segmentation de la clientèle, un axe de différenciation évoqué depuis longtemps mais qui faisait un peu figure d’Arlésienne, surtout dans les petites structures. Les contraintes de rentabilité et surtout les exigences réglementaires remettent en selle cette technique. Selon l’étude, 85 pour cent. des banques du grand-duché auraient déjà mis en place une nouvelle segmentation et 5 pour cent seraient en train de le faire, un chiffre comparable aux banques asiatiques, mais loin devant les Suisses et les Autrichiennes (40 pour cent environ).
La mise en œuvre de la segmentation devrait logiquement conduire à mieux adapter l’offre, mais aussi à concentrer sur certains groupes (en termes d’avoirs, d’âges, de lieux de résidence ou de niveau de rentabilité) voire à en délaisser d’autres.
En ce qui concerne l’offre, le Luxem[-]bourg fait figure d’exception en Europe : 63 pour cent des banques envisagent de se développer par la création de nouveaux produits et services, contre 33 pour cent des établissements suisses et à peine 19 des Autrichiens. Sur ce point, les banques luxembourgeoises sont dans la même logique que leurs consœurs asiatiques dont 82 pour cent considèrent l’offre de services comme un critère de différenciation essentiel. Elles ont tendance à se spécialiser dans l’ingénierie financière, avec un accent prononcé sur les questions fiscales, alors que les banques privées suisses se concentrent sur la gestion de fortune et d’actifs, les banques asiatiques couvrant aussi l’immobilier, les matières premières et les services d’investissement pour satisfaire des clients exigeant des prestations financières intégrées. Les banques luxembourgeoises sont aussi celles, parmi les pays étudiés, qui sont les plus déterminées à revoir intégralement leurs structures tarifaires : 53 pour cent, contre 37 en Suisse et en Asie, et 21 en Autriche.
En revanche, elles font preuve d’une grande frilosité en matière technologique, un levier d’action pourtant jugé crucial dans l’étude. Un quart à peine voit la technologie comme une menace, seulement 20 pour cent comme une opportunité, alors que les banques suisses sont trois fois plus nombreuses à voir davantage d’aspects positifs. C’est toujours moins qu’en Asie où plus de la moitié des banques privées considèrent les nouvelles technologies comme des chances à saisir. Le rapport note qu’en Europe on mise encore largement sur des entretiens traditionnels avec la clientèle, peut-être par crainte des risques liés à l’informatique ou des investissements que cela suppose. Le mobile banking et l’online banking permettent une meilleure flexibilité dans le conseil à la clientèle, au niveau spatial et temporel. Le retard accumulé est très préjudiciable pour espérer gagner les faveurs d’une jeune génération de clients, surtout sur les marchés en croissance d’Asie.