Pas besoin d’un passeport, ni d’une attestation de vaccination, ni d’un quelconque autre papier administratif, vous entrerez dans les tableaux de Jan Voss, à la galerie Nosbaum Reding (jusqu’au 28 août), en toute liberté. Et vous y circulerez de même, de la liberté, de la légèreté, celles qu’on reconnaît aux œuvres abouties, réussies, quelques peines que leur création ait pu causer. Du côté de l’artiste, comme du vôtre, il ne peut être question que d’y bourlinguer, et ne retenons pas un premier sens du mot, qui veut dire naviguer contre le gros temps (ce qui conviendrait quand même de nos jours), difficilement, péniblement, en se fatiguant à la manœuvre. Non, le voyage s’avère tout autre, c’est une vie aventureuse, joyeuse, malicieuse, qui vous tend les bras.
Parmi les tableaux exposés dans les deux salles, mais n’hésitez pas non plus à frapper à la porte du bureau, on en distinguera de deux sortes, et si pour les uns notre balade se fera avant tout dans l’espace, ailleurs il s’y joindra le temps, celui d’une narration tout aussi foisonnante que l’espace est complexe, dans ses chevauchements, ses enchevêtrements. Des fois, il faut alors la monochromie, les résonances de toutes les tonalités de rouge et de bleu, et leur consonance dans l’accrochage, pour en faire un territoire qui tienne.
Dans ses collages, où les reliefs feraient parler plutôt de montages, du fait des matériaux utilisés, Jan Voss opère tel un cartographe, et à nous d’explorer les espaces, les coins et les recoins, de gravir les plateaux, nous glisser dans les défilés. C’est un peu aussi comme si nous saisissions du regard, vu de haut, le paysage le plus composite, dans la riche diversité de ses parcelles, leur accumulation, leur empilement, leur stratification. On n’a pas de peine à imaginer Jan Voss dans son atelier, jouant au démiurge, ses saisissant de telles pièces de son inépuisable fonds pour faire son monde. Mais pour lui, ni pour nous, pas de repos à n’importe quelle heure, n’importe quel jour, ça reste entièrement ouvert, comme si à tout moment ça pourrait bouger. Dira-t-on que le souffle créateur, ou plus largement un souffle de vie, n’arrête pas, et passe allègrement au regardant.
Tout aussi vivement, avec peut-être plus d’entrain encore, et une même insouciance, nous voilà prêts à l’autre errance. Dans les peintures faites d’innombrables trais ou traces, de lignes qui peuvent aboutir à telles figures, nous nous retrouvons dans un environnement plus urbain, où des taches de couleur peuvent çà et là comme circonscrire des quartiers. Des graffitis, autant d’amorces d’historiettes, mais il nous revient une fois de plus d’y aller de notre propre imagination. Jan Voss nous a mis sur la bonne voie, de l’invention, de la fantaisie, d’un humour auquel il arrive de se faire tant soit peu grinçant.
Nous apprenons que Jan Voss a passé la majeure partie du temps du confinement dans son atelier berlinois, loin de sa petite ville de la banlieue parisienne, Arcueil en l’occurrence, inscrite à tel endroit dans un tableau. Avec des images émergeant dans sa tête, souvent à partir d’un mot, d’une phrase. Et il en est de nombreux que nous lisons entre les dessins, entre les créatures qui donnent proprement vie à ces toiles qui semblent parcourues, remplies par les fils d’araignées bien désordonnées, facétieuses.
Les toiles ne s’apparentent pas moins à des labyrinthes. Et l’on aura deviné depuis longtemps, Jan Voss est le contraire d’Ariane, la jeune femme montrant le chemin pour s’en sortir à Thésée. Jan Voss nous fait nous y perdre, enfoncer dans le dédale. À nos risques et périls. Pour notre plus grand plaisir.