Pour ce dernier tour des expositions de la huitième édition de l’European Month of Photography (EMoP), on a été voir – à tout seigneur tout honneur, puisque l’organisateur, Paul Di Felice est aussi le conseiller artistique du bureau d’avocats Arendt & Medernach – son accrochage à au Kirchberg. On y a vu, ou revu, puisqu’ils étaient aussi exposés au Musée National d’Histoire et d’Art (MNHA), les lauréats de Rethinking Nature / Rethinking Landscape : le couple finlandais-suédois Inka et Niklas et leurs Vista Points, une série de paysages de différents horizons, troués par le soleil noir ou brûlés par un soleil de plomb.
Un travail résolument politique, quand le vrai feu a incendié les villages du russe Danila Tkachenko (Motherland). Car on peut se demander si c’est la pellicule sur film polyester qui fond chez Inka et Niklas ? La photographie, au sens d’une « vision simple » existe-t-elle en effet encore ? La destruction de la planète est passée par d’autres armes que celles traditionnelles. La surproduction et le tourisme de masse. La photographie est passée de l’argentique au numérique et aux manipulations. C’est néanmoins pour leur douceur et les couleurs éclatantes qui associent un peu comme des cadavres exquis, nature, main de l’homme, fruits et fleurs, que l’on a revu le travail de la slovène Vanja Bucan, mieux mis en valeur dans le grand hall linéaire de Arendt House que dans l’espace ou avec l’association d’images d’autres artistes, au Ratskeller du Cercle Cité.
Le feu de l’astre solaire, qui fait fondre les glaciers du Groenland a la couleur froide, bleutée de l’inerte, dans la série Memories of Kötlujökull de Anastasia Mityukova, tandis que les double pages de papiers offset de la roumaine Marie-Magdalena Ianchis, habillement accrochées à la perpendiculaire au mur, accentuent l’effet du livre que l’on feuillette comme une « lettre morte ».
Si le thème de cette édition de l’EMoP était donc tourné vers les méfaits de l’anthropocène sur une planète durablement marquée, sinon perdue, l’expression individuelle des photographes, fait qu’on peut y trouver une consolation esthétique, voire un intérêt pour l’approche technique au moins aussi intéressante qu’aux débuts de la photographie au 19e siècle. On rappellera que des photographies exceptionnelles de cette époque de découverte du nouveau médium sont à voir durant tout l’été au Mudam dans l’exposition Enfin seules (juqu’au 19 septembre).
Poétiques, par les interventions techniques, sont les photographies de la dite École de Helsinki à la galerie Valerius. Riitta Päiväläinen confectionne des bandes de tissu qu’elle assemble comme un nid dans un arbre ou utilise comme un ruban pour les nouer ensemble en bouquet, sur un fond de ciel infini ou d’image inversée sur un miroir d’eau. Sandra Katanen, qui a étudié la peinture de paysage traditionnelle en Chine, introduit cet art de la méditation dans des paysages d’Extrême-Orient pollués.
Exceptionnel par rapport à la thématique Rethinking Nature / Rethinking Landscape, et à notre avis la meilleure approche avec Silver Memories de Daphné Nan Le Sergent au Casino Luxembourg-Forum d’Art Contemporain et, à la galerie Valerius le travail de Jaakko Kahilaniemi. Ayant hérité d’une propriété familiale forestière, c’est l’occasion de la photographier avec les arbres abattus, marqués dans 100 Mistakes made by previous generation d’autant de points rouges et de traits, également rouges, verticaux, qui seront la taille des arbres adultes que lui-même va replanter (100 planted saviours oh the heritage). Jaakko Kahilaniemi et Daphné Nan Le Sergent auraient mérité un prix spécial du jury.
On terminera par le plus proche des photographes de cette édition, au sens géographique du terme, Éric Poitevin, né à Longuyon et qui vit dans la Meuse. Comment ne pas, dans ce paysage formé par la rivière et qui dessine des contreforts qui se dressent comme des crêtes d’animaux fantastiques contre le Plateau lorrain, devenir philosophe et retenir l’image sur fond blanc et en grand format de juste le détail d’une fleur arrivée en fin de floraison (la série Angéliques). Ensauvagés, voici caressé par l’œil d’Éric Poitevin, le sol feuillu où tout s’emmêle, terre, végétation, troncs d’arbres (la série Sous-bois) et regardé de loin, avec le respect dû à ce que la nature a dessiné elle-même, les roches et le sol herbu d’un paysage écossais.
Un apaisement bienvenu dans cette foisonnante édition de l’EMoP, comme l’est aussi au Centre Culturel Portugais, l’ode à l’eau de Tito Mouraz. C’est peut-être un peu hors sujet. Mais comme une consolation.