Trois expositions donnent à voir, à Dudelange, des frontières invisibles. Celles qui séparent des univers radicalement différents, comme le sont, dans le récit biblique, l’Enfer et le Paradis. Sur ces Archipel(s), avec lesquels le Centre national de l’audiovisuel (CNA) et les deux galeries de la Ville de Dudelange, Nei Liicht et Dominique Lang, participent à la huitième édition du Mois Européen de la Photographique (EMoP), on navigue entre L’œil et la glace de Marie Sommer à l’extrême nord du Canada, Héliopolis de Marie Capesius sur l’île du Levant dans le sud de la France et la Synthèse d’une excursion de Rozafa Elshan entre l’espace ténu de son balcon et la rue à Bruxelles.
Dans le grand nord canadien, BAR 3, était une ligne de radars et une base militaire construite dans les années 1950 pour observer et prévenir les éventuelles visées et attaques du bloc soviétique sur l’Amérique du Nord. L’œil et la glace de Marie Sommer y fait référence, au même titre qu’à son travail présenté à Dudelange. L’œil, c’est la vidéo qu’elle a tournée, sur la route de la station impossible à atteindre à la saison de la fonte des glaces. On voit une projection d’images parallèles entre la dégradation de l’architecture abandonnée de la ligne de défense « Dew line », dépassée rapidement par l’évolution des technologies et les paysages de glace qui se désagrègent sous les effets du changement climatique. Des flashs de lumière altèrent également la pellicule… Ce qu’il reste, c’est une plaquette format journal, avec des photos d’archives de la base militaire. La mémoire d’une guerre, archivée.
Marie Sommer, photographe et vidéaste propose ici une observation cérébrale et glaçante de la partie infernale de la parabole biblique. À la galerie Nei Liicht, Marie Capesius plonge le visiteur dans le bain d’innocence de l’île du Levant, comme si Héliopolis, le paradis des nudistes, créé dans les années 1930 déjà pour s’éloigner de la « civilisation », ignorait la présence militaire. C’est l’ombre bleue pourtant des missiles qui traversent l’air de l’exposition (photos et écrans), par ailleurs d’un classicisme total, technique, supports et images : tirages argentiques, papier photographique solarisé, impression digitales sur papier mat. On est moins convaincu par les impressions sur toile et les sujets floraux de celles-ci. Mais par les corps, les roches, les mouvements de la mer, le rapprochement entre les veines d’un arbre et la peau parcheminée d’un vieil homme, mis à égalité pour constituer ce petit paradis. La thématique Rethinking Nature/Rethinking Landscape, si elle est dans la vérité de l’époque, perturbante, voire un nouveau dogme qu’il s’agit d’illustrer, bien sûr, par la photographie, la synthèse d’une excursion immobile de Rozafa Elshan, durant le confinement, réserve donc une surprise bienvenue, quasi optimiste.
Prisonnière de son appartement bruxellois, séparée de la rue par la frontière du garde-corps de son balcon, la photographe a saisi l’homme qui passe, un cerceau, une assiette en carton, un sac en plastic sur une table… Agrandies à l’extrême plusieurs fois de suite, jusqu’à que ce la texture pixélisée devienne le sujet de l’image, donne une entrée dans l’utilisation des techniques photographiques autant que dans des récits quand la vie de la photographe elle, était immobile. Personnellement, on aime aussi la manière de Rozafa Elshan, après ce hors-champs, de jouer avec le hors-cadre, en appuyant ses photographies simplement contre le mur.