Parler de réforme serait sans conteste disproportionné. Tout au plus pourrait-on intituler de « réformette » la proposition de loi n° 5667 déposée en février 2007 par le président de l’époque de la Commission de contrôle de l’exécution budgétaire, Henri Grethen (DP), au nom de ladite commission. Le texte, qui pourrait passer au vote en séance plénière la semaine prochaine, garantira avant tout une certaine sécurité de l’emploi aux membres de la Cour au cas où un mandat de six ans n’était pas renouvelé. Actuellement, le membre se retrouve alors au chômage ; la modification lui garantira un emploi avec le même salaire dans une fonction administrative de la Cour, au même titre que les garanties aux hauts fonctionnaires existant depuis la loi de 2005. En outre, le cadre des agents de carrière supérieure est augmenté, au détriment de celui de la carrière moyenne, palliant ainsi un des défauts inhérents à la structure depuis sa création en 1999, celui d’un manque de personnel spécialisé dans le métier d’audit.
Tous les autres thèmes qui pourraient faire l’objet d’une réforme de la Cour, notamment une clarification de son champ d’application, critique récurrente de contrôlés revêches – la Banque centrale s’est opposée à un contrôle, le Fonds d’urbanisation et d’aménagement du Kirchberg sous Fernand Pesch s’est battu contre, les établissements publics font remarquer que seule la partie de leur budget provenant de subventions publiques pourrait être contrôlée... – ont été exclus de ce texte. Or, les pistes ne manquent pas.
C’est d’ailleurs le Conseil d’État, qui, dans son avis du 28 janvier, regrette ce manque d’ambition de la réforme, car « il se serait attendu à un bilan plus fouillé des modifications fondamentales apportées au contrôle des finances publiques à la suite de la révision de l’article 105 de la Constitution en 1999 ». Depuis juin 1999, cet article dit, dans son premier paragraphe, que « une Cour des comptes est chargée du contrôle de la gestion financière des organes, administrations et services de l’État ; la loi peut lui confier d’autres missions de contrôle de gestion financière des deniers publics. » Parallèlement, une loi portant organisation de la Cour des comptes et une loi sur le Budget, la Comptabilité et la Trésorerie de l’État (réformant l’Inspection générale des finances et instaurant des contrôleurs financiers dépendant du ministre du Budget dans les ministères) avaient été adoptés. Or, un premier bilan de cette nouvelle architecture institutionnelle pourrait être tiré prochainement, une décennie après sa mise en place, confirme Anne Brasseur (DP), la présidente de la commission de Contrôle de l’exécution budgétaire (Comexbu), l’organe parlementaire en charge du suivi des dépenses publiques. De premiers contacts allant dans ce sens auraient eu lieu avec le ministre des Finances.
Flash-back Nous sommes au printemps 1999, à quelques semaines des élections législatives. La tension est électrique : un an plus tôt, l’affaire dite des dysfonctionnements, soit une gestion rocambolesque des budgets des ministères, par un système opaque de transferts en cascade dans différentes administrations, surtout à la Santé, a fait tomber le ministre socialiste Johny Lahure et fait démettre de ses fonctions l’administrateur du ministère, Marcel Reimen. Une commission parlementaire enquête, lorsque, parallèlement, sont mises à jour des soupçons de détournements de fonds et autres pratiques douteuses par le président de ce qui s’appelait alors Chambre des comptes, Gérard Reuter. Lors d’une même séance, en mai, la Chambre des députés suspend le président de ses fonctions et adopte les deux nouvelles lois. Les socialistes surtout essayaient d’urgence de limiter les dégâts, les CSV ayant comme par miracle été peu éclaboussé par les scandales. Mais les deux partis de la majorité juraient officiellement que les finances publiques deviendraient plus transparentes et seraient contrôlées plus méticuleusement. Pour le LSAP surtout, l’enjeu était de taille : rétablir l’honneur perdu (à tort, selon lui).
Les élections de 1999 renvoient le LSAP sur les bancs de l’opposition, le DP va prendre la place du partenaire de coalition du CSV durant une législature. Une aubaine pour les socialistes dans ce dossier-ci : avec la mise en place des nouveaux organes, la Cour des comptes et les contrôleurs financiers, il fallait aussi inventer un fonctionnement de la nouvelle Comexbu, mise en place dès 2000 au sein du Parlement, qui est présidée par un membre de l’opposition, en l’occurrence le socialiste Jeannot Krecké. Les attentes sont énormes, la presse squatte les réunions de la commission, dans l’espoir de nouvelles révélations sur des détournements et dysfonctionnements, l’opinion publique est alertée en permanence sur le danger de dilapidation de l’argent de ses contributions.
La Comexbu aime à définir la Cour des comptes comme un fournisseur d’analyses et de rapports à son service – ce qu’elle est aussi. Mais elle n’analyse que la légalité et la régularité des dépenses et des recettes, ainsi que la bonne gestion financière de grands projets, et cela ex post – et non pas le bien fondé ou l’opportunité politique d’une dépense. Aux députés de tirer les conséquences politiques qui s’imposent lors des débats en commission, dans ses rapports ou en séance plénière. La Cour peut s’autosaisir ou, dans la majorité des cas, est mandatée par la Comexbu à analyser une structure étatique ou para-étatique ou encore un projet particulier de près.
Or, aux débuts, alors que la Chambre des députés invente un fonctionnement et des procédures, les premiers rapports de la Cour sont souvent maladroits, se perdant dans des détails – l’utilisation occasionnelle d’une carte de crédit professionnelle pour une dépense privée avec citation du nom du fonctionnaire incriminé fut l’exemple le plus exploité médiatiquement – et occultant ainsi le vrai enjeu du nouvel outil. Qui est en fait de provoquer une nouvelle rigueur de la gestion financière dans l’administration publique. En parallèle, les contrôleurs financiers instaurent les nouveaux contrôles serrés de la moindre petite dépense au sein des ministères dont ils ne dépendent pas – donc en toute indépendance par rapport à la hiérarchie interne. Un refus de visa d’un contrôleur implique une prise de responsabilité politique : le ministre en charge doit « passer outre » ce refus, et s’en expliquer devant la Comexbu.
Aujourd’hui, « le nombre de ces passer outre diminue chaque année » affirme Anne Brasseur, ce qui serait bon signe. D’ailleurs, le principal effet des nouvelles institutions serait une prise de conscience dans les administrations et établissements publics de la nécessité d’une gestion financière rigoureuse. Selon l’avis convergeant des observateurs et acteurs de la Comexbu ou de la Cour, l’épée de Damoclès d’une affaire politique et sa publicité serait le principal garde-fou contre toutes sortes de dysfonctionnements et de mauvaise gestion.
Mais le travail de la Cour des comptes et de la Comexbu a aussi amené des changements substantiels dans les modes de gestion des investissements publics, dont le plus fondamental concerne la gestion des grands projets d’infrastructure. Après les rallonges à répétition des grands chantiers de construction comme notamment la Coque, le Centre de conférences, la Nordstrooss ou la Philharmonie que le parlement devait adopter parce que les devis initiaux avaient été largement sous-estimés, la Comexbu a instauré dès la législature 2004-2009, et en collaboration avec les ministères des Transports et des Travaux publics, une nouvelle procédure de gestion de ces chantiers, permettant une planification plus réaliste des budgets. Depuis 2005, le Parlement adopte d’abord le principe d’une nouvelle construction avec des listes de projets prioritaires à construire et ne vote le budget par projet qu’à une phase antérieure, sur la base de l’avant-projet détaillé. La bataille sur l’application de l’article 99 de la Constitution – qui veut que chaque investissement dépassant une certaine somme, à l’époque 7,5 millions d’euros (aujourd’hui quarante), demande une loi spéciale – fut au centre de l’affaire du Fonds Kirchberg, qui s’est terminée par la démission de son président Fernand Pesch.
Des dossiers plus ponctuels comme les gouffres financiers que furent l’Ena (European Navigator, 2002), eGovernment (2005), le Musée de la forteresse (2008) ou, toujours d’actualité, e-Go (2009) n’ont pas toujours les mêmes conséquences sur le plan politique. Si le gros rapport sur le système de payement électronique dans les transports en commun e-Go comporte toute une deuxième partie proposant un « guide pour la gestion d’un projet de grande envergure », il a aussi provoqué un premier désaveu de la Comexbu.
Car, alors que l’autorité des premiers présidents de la commission (Jeannot Krecké, Henri Grethen, Colette Flesch) n’a jamais été publiquement contestée, le fait que la majorité CSV-LSAP (qui compte huit des douze membres de la commission) ait refusé, début février, de consacrer une enquête supplémentaire à la première partie du rapport, sur la gestion du dossier e-Go à proprement parler, a discrédité non seulement la présidente, mais toute la commission. Car, forcément, on y lira une tentative de protéger un des leurs, l’ancien ministre des Transports Lucien Lux (LSAP), qui pourrait être mis en cause au courant de l’enquête. Les députés de l’opposition, bafoués, n’ont eu d’autre idée que de s’adresser publiquement au président de la Chambre, en lui remettant une lettre. Mais bien que les députés viennent, dans leur réunion de lundi 1er mars, de faire un petit pas en arrière, concédant que le sujet sera traité en même temps que le rapport sur la deuxième partie de celui de la Cour, le mal est fait, les soupçons qu’il y aurait des choses à cacher, ne serait-ce qu’une gestion calamiteuse d’un investissement de 17 millions d’euros jusqu’en 2008 (d’Land 01/10), refont surface.
Dans le même rapport sur e-Go, la Cour des comptes imagine d’ailleurs un nouveau rôle pour l’Inspection générale des finances dans le cadre de la gestion des grands projets, celui de « cellule de contrôle et de suivi ». Dans sa réponse, l’IGF estime que, pour ce faire, il faudrait réformer la loi. Dans son rapport général pour l’exercice budgétaire 2008, la Cour propose d’ailleurs aussi un nouveau modèle de comptabilité publique, inspiré du modèle français, qui viserait aussi à encourager une « culture de la performance ». La Cour livre donc elle-même la plupart des pistes de réforme.
Reste la question du champ de contrôle : après le contrôle des finances des partis, introduit par la loi de 2007 (excluant celui des groupes parlementaires), elle pourrait bien aussi avoir, à moyen terme, la charge du contrôle des finances communales : Paul-Henri Meyers (CSV) l’a déjà prévu dans le nouvel article 134 de la révision constitutionnelle. Des changements plus substantiels que le petit texte en discussion pourraient donc suivre, notamment à la lumière des efforts du gouvernement de faire des économies.
Les quatre présidents successifs de la Comexbu ont toujours insisté sur l’indépendance politique de leur organe ainsi que de la Cour des comptes, se voulant les gardiens objectifs de la rigueur et de la transparence de la gestion budgétaire. Néanmoins, il demeure que les nominations des membres de la Cour sont des nominations politiques. Et son président fut secrétaire parlementaire du CSV auparavant – s’appliquant, il est vrai, désormais, à prouver son indépendance. En dix ans, les rapports de la Cour sont devenus plus sobres, plus techniques et objectifs aussi. En France, le socialiste Didier Migaud, qui vient d’être nommé par Nicolas Sarkozy comme successeur de Philippe Séguin au poste de premier président de la Cour des comptes, insiste que ce « n’est pas une fonction politique », mais plutôt celle d’un magistrat (Le Monde du 28 février).