En 1992 fut adopté le Traité de Maastricht par les pays de l’Union européenne (UE). Il définissait, entre autres, la route qui devait aboutir à l’Union économique et monétaire (UEM) et la monnaie commune, l’euro.
Le traité définissait également des critères financiers, les critères de convergence, que les pays aspirant au projet monétaire commun devaient respecter. Ces critères étaient, plus tard, complétés par le Pacte de stabilité et de croissance. Dans les deux cas, l’objectif était d’imposer une certaine discipline budgétaire aux pays membres afin d’assurer la stabilité de l’Union monétaire. Les ou au moins certains des auteurs de ces traités envisageaient l’inimaginable et voulaient assurer qu’au grand jamais l’Union monétaire ne pourrait être mise en difficulté par des problèmes de solvabilité d’un des pays membres.
Treize ans plus tard : un pays de l’UEM se trouve potentiellement devant l’insolvabilité. Après l’accumulation de déficits publics pendant une décennie, et aggravés par la production de statistiques fausses ou faussées, le refinancement de la dette grecque, d’un montant de 53 milliards d’euros sur l’année 2010, ne semble plus assuré. Après la publication et la révision à la hausse des dernières estimations du déficit budgétaire et de la dette publique, les marchés financiers se rendent compte que la situation financière de la Grèce ressemble fort à celle des pays qui avaient glissé vers l’insolvabilité dans le passé.
Dès le début, les critères de convergence et les dispositions du Pacte de stabilité et de croissance n’étaient pas vraiment appliqués à la lettre. Au fil des ans, leur application devenait de moins en moins rigoureuse, notamment après que les grands pays, telle la France, ou ceux qui en avaient toujours été les sponsors les plus intransigeants, telle l’Allemagne, rencontraient des difficultés à les respecter. En 2005, le Pacte de stabilité et de croissance a finalement été « assoupli », au point à ne plus avoir aucun impact palpable. À part quelques puristes de la Bundesbank, personne n’y avait à redire.
Est-ce que l’insolvabilité d’un État-membre de l’UEM est envisageable ?
En théorie, certes. Il n’y a pas de raison qu’un pays ne puisse tomber en faillite parce qu’il partage sa monnaie avec d’autres pays. Des précédents historiques, dans des contextes différents bien sûr, existent. Par ailleurs, le traité de l’Union européenne ne prévoit pas le sauvetage d’un pays par un autre au sein de l’UEM. Politiquement, toute mesure de soutien aux pays surendettés serait difficile à communiquer aux contribuables de l’UE, et notamment à ceux des pays qui ont toujours prêché la vertu budgétaire. Ce serait particulièrement le cas pour les Allemands, qui ont depuis toujours été contributeurs nets au financement de l’Union européenne, qui avaient déjà à financer leur réunification et où le consensus sur la question de la fermeté traverse les milieux politiques, académiques, économiques, médiatiques et populaires. Selon un sondage de cette semaine, 67 pour cent des Allemands se prononcent contre une aide pour la Grèce. « La Grèce doit comprendre que, quand on viole les règles pendant trop longtemps, on doit payer un jour le prix fort, » a déclaré récemment un haut responsable du CDU.
En pratique, toutefois, laisser la Grèce se débrouiller seule n’est pas une option très réaliste. Les créditeurs (les « spéculateurs » dans les yeux du gouvernement grec) devront conclure que leurs capitaux ne sont pas sûrs auprès des gouvernements aux difficultés budgétaires. Voulant sauver leur mise, non seulement feraient-ils augmenter les coûts de refinancement de ces gouvernements de façon spectaculaire, mais ils pourraient rendre impossible ce refinancement et provoquer d’autres faillites d’État. Le Portugal, l’Espagne et l’Italie sont en ligne de mire. Les conséquences économiques seraient peu réjouissantes, notamment pour les banques et compagnies d’assurance, grands détenteurs de la dette d’État de ces pays, et toujours fragilisées par la grande crise financière, mais aussi pour les fonds institutionnels et les investisseurs privés. En 1975, le gouvernement américain du Président Ford avait bien l’intention de ne pas intervenir en faveur de la ville de New York au bord de la faillite, avant de se rendre compte que cette solution serait néfaste pour la crédibilité financière de toutes les entités administratives des États-Unis.
Pendant deux mois, les milieux officiels de l’Union européenne se sont exercés dans la langue de bois (« nous soutenons pleinement les efforts du gouvernement grec ») ou dans des déclarations incorrectes (selon Madame Lagarde, les pays de la zone euro seraient « conjointement responsables les uns des autres »), tandis que la présidence de l’Eurogroup s’est tu. Mais, au cours des dernières semaines, il devenait clair que les gouvernements de l’UE ne pouvaient prendre le risque de laisser tomber l’un des leurs – même si les promesses de soutien sont restées vagues et, surtout, conditionnelles. « Si la Grèce respecte ses engagements, (…), nous sommes prêts à garantir la stabilité financière de la zone » expliquait Jean-Claude Juncker. En vérité, il sera nécessaire de « garantir la stabilité de la zone » surtout dans le cas contraire.
À la fin, les omissions politiques du passé ainsi que l’hystérie des investisseurs auront eu raison des déclarations de principe et de la vertu économique. Pour les pères de l’Union monétaire, le « worst case » est arrivé.