Féérique angoisse. Martin Eder déteste le mot kitsch. C’est pourtant le premier terme qui vient à l’esprit en visitant son exposition Psychic au Mudam. Entre hyperréalisme et semi-surréalisme, l’expérience de sa proposition ressemble à celle d’un – mauvais – rêve, pour reprendre le titre de la série de peintures qu’entre autres il y présente, Vida es sueño. Angoisse et féerie s’y mêlent en effet à travers une musique qui aspire au fantastique et des images à l’esthétique populaire et kitsch inspirée de la mythologie allemande – épées, serpents, forêt, cieux nocturnes romantiques, costumes et accessoires médiévaux, cuirasses protectrices, etc. Le récit se déroule sur un arrière-fond urbain occidental ordinaire : un parc et le métro berlinois. La sensation d’angoisse que l’artiste réussit à susciter provient de la combinaison, toutefois intéressante, qu’il opère entre « normalité » et « spiritisme ». Une jolie jeune femme blonde s’endort dans le métro et sur le siège face à elle il y a un serpent. Ensuite elle erre dans un parc. Elles sont finalement deux à errer dans ce parc et apparemment aussi dans un monde parallèle.
« Abus » de peinture. Il faut connaître le travail de Martin Eder pour mieux comprendre son cheminement : il a abandonné la sculpture monumentale très jeune et a commencé à produire de nombreuses peintures en petit format pour rendre son art plus accessible – à la fois au marché de l’art et au grand public actuel. Son idée était bonne car il a immédiatement eu du succès, aussi bien par son médium que les galeries vendent facilement, que par ses sujets de prédilection – érotisme, sexualité, désir, femmes nues – que « tout le monde » comprend en effet immédiatement. Il faut également lire ce que l’artiste explique par ailleurs dans ses nombreuses interviews : si 90 pour cent du trafic mondial sur internet concerne des sites pornographiques, pourquoi ne pas évoquer dans le monde de l’art – ouvertement – ce que les internautes font constamment cachés derrière leurs écrans d’ordinateur et sur leurs téléphones intelligents ?
Mais aussi, le travail de l’artiste consisterait en un commentaire à la fois de la société capitaliste et du monde de l’art – commentaire qui lui permet en même temps de s’y insérer intelligemment. Devenu connu à travers les aquarelles qu’il a peintes pendant une quinzaine d’années, à partir de photographies de femmes déshabillées et positions érotiques et pornographiques prises par lui-même, et qu’il exposait à côté d’images de chatons et autres animaux de compagnie, et critiqué pour le caractère machiste de son travail, l’artiste allemand a – avec humour – décidé de peindre quelques jeunes hommes. Rapidement revenu au corps féminin, il propose actuellement au Mudam une exposition qui se présente comme une boucle : une installation vidéo entrecoupée d’une série de peintures. C’est bien cet élément hypnotique, se voulant surnaturel, qu’il insère dans ce travail, qui lui permet d’éventuellement échapper au reproche selon lequel il utiliserait avec facilité des éléments d’une banalité extraordinaire pour formuler une critique, elle aussi banale, de notre société capitaliste où le refoulement et la « normalité » obligatoire produisent des résultats inquiétants.
La mode hypnotique du paranormal. C’est dans le cadre de son passage à la Volksbühne à Berlin cette année, où – en tant qu’artiste-hypnotiseur – il organisa des séances de spiritisme pendant lesquelles il proposa aux participants des expériences de phénomènes paranormaux, qu’il créa ces vidéos, présentées au Mudam pour la première fois. L’esthétique bavaroise provenant de ses origines persiste aussi bien dans les attitudes des personnages mobilisés – jeunes femmes blanches pâles qui oscillent entre l’innocence, le plaisir et la culpabilité – que dans le symbolisme du langage visuel de l’artiste dans lequel des références catholiques évidentes entrent en dialogue avec les symboles d’une pseudo-religion ésotérique.
Kitsch noir. L’enfant terrible Martin Eder est supposé être l’un des peintres les plus importants de l’Allemagne contemporaine. Les basculements qu’il opère entre kitsch, trash, spiritisme et ironie noire ont le mérite de dévoiler un monde qui de facto touche un public. L’élément qui reste intéressant – même si cette esthétique désagréable ne peut plaire à tout le monde – c’est bien cette ambivalence : le passage de la Lolita blonde à la guerrière médiévale, du beau (corps) au moche (éléments contextuels et langage pictural), de cette noirceur de la campagne qui se mêle à celle de la ville – c’est cette décadence qui a du succès… On pourrait supposer que, paradoxalement, le meilleur compliment que l’on pourrait faire à Monsieur Eder serait de lui dire que son travail est de « mauvais goût ».