« Ce n’est pas un hasard que cette plainte arrive maintenant, lance Daniel Miltgen, le président du Fonds du logement, j’en vois certains déclamer à la tribune qu’il est inacceptable de voter un texte illégal ! » La missive de la division de la concurrence de la Commission européenne arrive comme un cheveu sur la soupe, juste avant le deuxième vote du projet de loi sur le pacte logement, prévu le 15 octobre. Dans cette lettre, les gardiens européens de la libre concurrence invitent le gouvernement à fournir des explications, après avoir été saisis d’une plainte anonyme pointant du doigt que « certains opérateurs publics seraient bénéficiaires de mesures étatiques ayant comme objectif la création de logements à coût modéré. En outre, une partie des logements créés par effet de ces mesures pourrait faire l’objet de locations sur le marché normal. »Ce qui signifierait que rien ne distingue les promoteurs publics – comme le Fonds du logement – des entreprises privées actives sur le marché immobilier, sauf que les premiers bénéficient du soutien financier et donc déloyal de l’État.
« Ces aides sont strictement légales, répond au Land le ministre CSV du Logement, Fernand Boden, parce que le Fonds du logement exerce des missions d’intérêt public. » Il n’envisage pas de modifier le projet de loi d’un iota et estime que cette plainte n’aura pas d’incidence sur le vote mercredi prochain. Il aurait préféré que les plaignants se montrent au lieu de se cacher derrière l’anonymat. Car selon lui, ils se sont emmêlé les pinceaux. D’abord, les promoteurs privés ne sont pas exclus des subventions étatiques lorsqu’ils investissent dans le logement social, pour autant qu’ils ont conclu une convention avec l’État. Ensuite, le Fonds du logement ne bénéficie pas de ces aides lorsqu’il intervient dans le marché immobilier « normal » comme la vente de surfaces commerciales, par exemple. Pour le ministre, il ne peut donc être question de concurrence déloyale, car tous les acteurs sont traités à la même enseigne.
Pas sûr, estime Romain Schmit, le directeur de la Fédération des artisans qui se frotte les mains et assure ne rien savoir de cette plainte. « J’admets que nous avions menacé de le faire, mais nous n’en avons pas encore eu le courage », lance-t-il railleur, tout en insistant que les nouvelles missions conférées au Fonds du logement le feront bénéficier d’un avantage concurrentiel disproportionné sur le marché de l’immobilier.
Il s’appuie pour cela sur une étude forte de 72 pages, effectuée par l’avocat Marc Elvinger1, qui, dans sa conclusion, « estime que le Fonds du logement bénéficie d’aides d’État incompatibles avec l’article 87 du Traité (de la Communauté européenne, interdisant les aides d’État, ndlr.). Alors que tel est déjà le cas au regard de la législation actuellement en vigueur, les privilèges supplémentaires que le projet de loi entend conférer au Fonds, ainsi que l’extension supplémentaire de sa mission, ne font que rendre la situation plus évidente. »
Au ministre de persuader Bruxelles de la mission d’intérêt public du Fonds du logement. Ce qui ne sera pas tâche facile car, selon l’avocat, le gouvernement n’a pas assez précisé en quoi consistait cette mission de service public. La fonction initiale de créer des logements sociaux aurait donc été diluée au fil du temps qu’il n’en restera plus grand chose après l’entrée en vigueur du pacte logement. C’est la raison pour laquelle les entreprises privées sont aussi d’avis que le gouvernement aurait été obligé de notifier les aides accordées au Fonds du logement à la Commission européenne.
Le ministre a vingt jours pour répondre aux reproches formulés dans la plainte. Fernand Boden souhaite néanmoins une rallonge pour faire examiner cette question par ses services juridiques et ficeler « un dossier solide » qu’il pourra ensuite envoyer à Bruxelles. Il est étonnant qu’il n’y ait pas pensé avant, connaissant les visées du secteur privé. Il ne se dit pas non plus préoccupé pour autant du sort du pacte logement, dont le parcours a été parsemé d’embûches, notamment par le maintien de l’opposition formelle du Conseil d’État concernant l’exemption fiscale sur les plus-values lors d’une vente au bénéfice du Fonds du logement. Or, lorsque la Commission européenne entame une procédure comme celle-ci, les aides nouvelles devront être suspendues jusqu’à la clôture du dossier, que le pacte logement soit voté ou non. Tout dépendra donc de la qualité des explications fournies par l’État, précise-t-on à la division concurrence de la Commission européenne, sinon la procédure « peut prendre longtemps ».
Mardi, le ministère du Logement s’était encore félicité du succès de la semaine du Logement tout en précisant dans un communiqué que, « dans un contexte de crise financière aiguë, il est important de souligner la stabilité du marché immobilier au Luxembourg et la nécessité d’aspirer à une baisse mesurée des prix immobiliers notamment par le biais du pacte logement qui offrira une nouvelle possibilité d’augmenter le nombre de logements à coût modéré permettant un effet stabilisateur sur les prix. » Plus si sûr.
1 Examen de certaines dispositions du projet de loi n°5696 (dit « Pacte logement ») au regard de leur compatibilité avec la Constitution, la Convention européenne des droits de l’Homme et le droit communautaire, réalisé en avril 2008 pour le compte de la Fédil, la Fédération des artisans, la Chambre des métiers et le Groupement des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics.