Logement social

L’appel de Jésus bâtisseur

d'Lëtzebuerger Land du 17.01.2008

Lancé en septembre 2006 par l’archevêque Fernand Franck, l’appelpour l’engagement social de l’église n’avait pas eu jusqu’à présent énormément d’échos dans la population. Pas plus que n’eut de grandes répercussions la remise en mai dernier au Premier ministre de la publication Sozialwort der katholischen Kirche in Luxemburg, qui en a défini les contours. Il a fallu attendre décembre, à la veille des fêtes de fin d’année pour que le message de l’église luxembourgeoise fasse un peu vibrer la fibre de l’opinion publiqueet donne undébut de concrétisation à cet engagement jusqu’alorstrès théorique.

Par la communication d’abord. L’archevêché a frappé aucoeur d’unedes plus grandes préoccupations des citoyens : celle du logement. L’église s’est ainsi offert une pleine quadri dans la presse affiliée pour lancer sa campagne sur le droit à un logement à des prix abordables, militant pour des « prix justes », l’utilisation « équitabledes sols » et appelant à la « solidarité » et à la « charité » des chrétiens. 

Un visuel de campagne avec une clef, un peu comme celle deSaint Pierre pour ouvrir les portes d’un petit paradis à tous les indigents du logement. Ces ménages qui consacrent parfois plus de la moitié de leurs revenus pour avoir un toit. Parallèlement à cette action grand public, une équipe de l’archevêché a été mobilisée pour sillonner les paroisses et inciter les responsables des fabriques d’église (gens d’églises, milieux associatif, responsables communaux) pour qu’ils s’engagent massivement à suivre ce que Monseigneur Franck avait appelé en 2006 « l’appel de Jésus Christ » aux chrétiens « à observer de plus près les situations de détresse humaine » et surtout à les faire suivre « dorénavant par des actionsconcrètes. » 

Cinq réunions ont été organisées en décembre dernier et au début janvier dans les cinq districts paroissiaux que compte le grand-duché. Un vade-mecum du logement social à l’adresse des propriétaires séculaires est en préparation à l’archevêché. Le document doit sortir de presse en février et aidera les fabriques dans leurs démarches auprès des administrations. 

Lors des réunions, les questions qui revenaient le plus souventtournaient autour des montants et de la nature des subsides consentispar l’État envers les futurs promoteurs de logements à vocation sociale. Car il faut bien financer les réparations du toit de l’église ou du presbytère. La loi de 2002 sur l’aide au logement autorise l’Etat à participer à hauteur de 75 pour cent au prix de construction et d’acquisition de logements locatifs réalisés par des asbl, des fondations, des fabriques d’église et des congrégations religieuses.L’engagement de l’église paraît toutefois plutôt light au regard de l’ampleur du mal et des besoins d’un pays opulent qui n’a jamais versé dans le logement social et rechigne toujours d’ailleurs à engager un ambitieux plan dans ce sens en dépit des promesses de la coalition de l’été 2004 de construire plus de 10 000 logements. Mais même légère, l’initiative de l’archevêché a le mérite d’exister face à un monde associatif militant pour le droit à une habitation à desprix abordables, si remuant avant 2004, qui observe désormaisun silence radio.

La campagne de l’archevêché a d’ailleurs déclenché des interrogations dans l’opposition libérale notamment. La députée DP Anne Brasseur demandant ainsi au ministre des Classes moyennes et du Logement de détailler les initiatives passées de l’église et le volume de terrains et de bâtiments qu’elle a déjà mis à la disposition de l’État pour du logement social. Réponse de Fernand Boden cette semaine qui parle d’une « collaboration durable et exemplaire » entre l’église et les autorités : cession d’un lopin de terre par le couvent du Carmel au Cents qui a permis à la Société d’habitations à bon marché de conduire son vaste programme de logements sociaux ; logements étudiants dans l’ancien couvent au Limpertsberg (l’État a racheté le site), foyer de réfugiés à Eisenborn où est par ailleurs programmée la construction de six maisons unifamiliales et huit autres logements collectifs. Le ministre CSV des Classes moyennes et du Logement salue aussi l’initiative de la fabrique d’église d’Echternach avec la réalisation d’un premier « petit projet » et l’annonce de trois autres ainsi que les plans d’autres fabriques. Rien toutefois de spectaculaire.Dans le nord du pays à Pintsch, la rénovation annoncée par le Fonds du logement de l’ancien presbytère et l’aménagement de la grande adjacente en appartements locatifs reste une nébuleuse.

Une action efficace de l’église dans la crise du logement et le combatcontre la flambée des prix, si elle ne veut pas ressembler à un alibi, devrait passer au préalable par une meilleure prise en main du patrimoine foncier des différentes fabriques d’église et autres communautés religieuses ainsi qu’un inventaire des biens, inexistant à ce jour. « Nous pouvons motiver mais pas obliger », objecte-t-on à l’archevêché en rappelant l’autonomie financière des fabriques (qui n’ont pas vocation de jouer les bons samaritains) et les difficultés qu’il a déjà eu il y a quelques années à regrouper les communautés paroissiales. 

L’exercice de solidarité s’adresse aussi aux chrétiens lambda pour« valoriser leur potentiel dans le domaine de la construction et à l’engager dans un sens social ». Allez les fidèles, du fonds de vos 200 mètres carrés pavillonnaires, faîtes un geste aussi charitable que citoyen.  

Véronique Poujol
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