On dirait la séquence d’ouverture de The Tree (le film primé) de Julie Bertucelli : un pick-up, prêt à partir, chargé d’une maison unifamiliale préfabriquée. C’est House la (seule et unique) photo de Zoe Leonard exposée à la Krome Gallery dans le cadre de l’exposition Andrea Pichl in dialogue with Zoe Leonard. La troisième de la série « in dialogue with », cette exposition compte parmi celles de l’Emop ; raison pour laquelle le visiteur avait droit de s’attendre à un dialogue plus engagé entre ces (œuvres d’)artistes qui abordent des sujets similaires depuis des points de vue différents et choisissent des traitements tout aussi différents.
En effet qui pense dialogue entre Andrea Pichl et Zoe Leonard pense plutôt à Observation point qu’à House, on pense plutôt à une mise en scène et une appropriation de l’espace d’exposition par l’installation et la projection qu’à une seule photo d’une seule maison. Le dialogue semble laconique si pas autiste. Oh wéi schued ! Quant au choix de House, il rappelle tellement plus quite good houses/ganz gut de Oda Pälmke qui elle, par sa démarche, se rapproche de Andrea Pichl : voir, regarder, documenter les immeubles qui cadrent notre environnement sans prétention aucune, et qui tout simplement assument leur rôle dans les limites de leur existence physique, laissant aux utilisateurs la charge de se les approprier par des touches singulières et éphémères, des accents aigus ou graves. Du brol, des fleurs, des débris, des parasols, des antennes paraboliques, des rideaux, l’abandon, la végétation pionnière annonçant la ruine… C’est par l’inaction ou l’action humaine que ces immeubles nous paraissent, ou disparaissent.
Les installations d’Andrea Pichl éveillent le déjà-vu tout autant, elles ressemblent à des variations sur le même thème vues à d’autres expositions de l’artiste. À Luxembourg, elles ne sont pas nouvelles dans la mesure où elles puisent dans un même archive photographique, croissant certes, mais non encore enrichi par des clichés pris dans la région, on aurait eu envie de l’espérer, à l’occasion de l’Emop. Cependant une certaine sensation de familiarité s’emparera du visiteur luxembourgeois. C’est chose inattendue étant donné que Luxembourg n’a pas connu de développement urbanistique d’une importance telle que ceux documentés par l’artiste à Halle-Neustadt, à Ballymun et au Bronx : rationalisme, standardisation, préfabrication, les théories du CIAM, de Le Corbusier et du Bauhaus mis en pratique dans un cadre règlementaire et afin de répondre à la nécessité d’une pénurie de logement qu’ont connus nos voisins et les voisins de nos voisins. Gun Hill Road montre des clichés d’Allemagne de l’Est (Halle-Neustadt), d’Irlande (Ballymun, Dublin) et des États-Unis (Bronx, New York) qui rappellent le film Red Road de Andrea Arnold tourné à Barmulloch (Glasgow, Écosse) avec tous les problèmes sociétaux qui en surgissent, ou encore plus proche de nous Droixhe à Liège : des développements qui ont été démolis ces dernières années, suite à des reconnaissances et constats de l’incapacité ou de l’impossibilité d’une prise en charge adéquate des communautés d’habitants où l’ensemble architectural semble préfigurer la ghettoïsation et la mutation en quartier chaud. Certains ont été reconvertis, Lacaton & Vasal en étant les auteurs les plus médiatisés.
La Cité radieuse de Le Corbusier à Briey connait un autre sort. De taille bien plus modeste, cet immeuble représente désormais un patrimoine architectural indiscutable et accueille des expositions et des spectacles en plus de sa vocation primaire et principale d’immeuble à logements. À Luxembourg, les réponses aux pénuries de logements ont été différentes, loin de la mise en pratique de théories architecturales, loin de la production en masse. Si une sensation de déjà-vu nous prend par moments à la contemplation de Gun Hill Road, elle n’est pas due à la SNHBM ni au Fonds du Logement, mais plutôt à certains immeubles construits dans les années 1960 à 1980 par les architectes locaux parmi les plus connus Paul Retter et à Théo Worré. Plutôt que la typologie du bâtiment ou son programme c’est le choix du matériaux en façade qui rappelle les clichés de Gun Hill Road : du béton lavé ou préfabriqué sous forme d’éléments d’architecture. Ce n’est pas surprenant de constater que, malgré une insertion urbaine adéquate et un programme varié – souvent il s’agit de bâtiments administratifs, mais également d’immeubles à vocation culturelle ou éducative –, ces immeubles soient perçus avec gêne au Luxembourg. Il y a même un désir de les faire disparaître : trop jeune et trop peu sexy pour suffire à l’air de notre temps. Pourtant, en contemplant ces immeubles tout comme les clichés de Andrea Pichl pris sans jugement aucun, l’on se demande « wéi fenns de dat Gebai ? » et l’on répond par « am Fong ganz OK ». Andrea Pichl in dialogue with Zoe Leonard aura proposé au visiteur une pratique de l’observation allégée, libérée des exigences entartrées. Ne faire que voir pour changer un peu.