Aujourd’hui, Tinkerbell est morte. Le chihuahua de Paris Hilton, âgé de quatorze ans (pas mal, pour un chien transporté dans un sac Vuitton), a rendu l’âme samedi dernier. À l’ombre du Mudam, au Kirchberg, un dernier hommage s’est tenu en début de soirée : un maître de cérémonie l’a symboliquement enterré sous un arbre, son assistant jouant du gong et une petite procession de gens consternés, munis de petits bouquets de fleurs, les larmes aux yeux, ont suivi le cadavre : un sachet de chips vide sur lequel ont été collés de petites jambes en carton…
La performance humoristique improvisée était réalisée par les étudiants en arts plastiques, classe Art et espace public, qu’enseigne l’artiste luxembourgeoise Simone Decker à l’Akademie der bildenden Künste à Nuremberg, et qui sillonnent l’Europe en bus depuis la mi-avril. Luxembourg était la deuxième station, après Sarrebruck et Völklingen en début de semaine. Pour leur voyage, les étudiants ont acheté un ancien car touristique, qu’ils ont transformé en Subbus : en bas, des bancs avec des tables pour s’asseoir lors des trajets et travailler lors des temps d’arrêt, alors qu’à l’étage, tous les bancs ont été enlevés pour en faire une sorte d’open space modulable pour dormir (lits de camps, tentes, matelas…) ou faire des présentations sur un écran installé sur la vitre avant.
L’enterrement symbolique de Tinkerbell était la deuxième action avec un animal de compagnie. « Ce matin, nous avions un gros bourdon dans le bus, explique Felix Boekamp, un des jeunes artistes. Nous avons alors décidé de l’appeler Staline et d’essayer de le dompter. Or, cela s’est avéré impossible, et comme il avait des flatulences assez désagréables, nous avons alors décidé de lui rendre sa liberté… » Tout le monde éclate de rire. Ils sont une dizaine à participer à ce premier voyage, et ils cherchent encore leurs marques, des modes de fonctionnement et de production d’œuvres ou d’interventions dans l’espace public dans chaque ville qu’ils visitent. « Il y a un mélange entre projets développés en amont, avant le départ, et d’initiatives spontanées sur place », raconte encore l’artiste Felix Boekamp, un des aînés. Ainsi, lui a organisé une exposition éphémère et non officiellement autorisée au huitième étage de la mairie de Völklingen la veille. Ayant découvert que cet étage du bâtiment-tour était entièrement vide, il a invité les artistes du bus, mais aussi ceux de la classe de Georg Winter à Sarrebruck, à participer à une exposition improvisée : en une demie journée, il a tout organisé, réalisé et distribué des flyers, fait l’accrochage, proposé un drink de vernissage – et tout démonté.
Parmi les œuvres accrochées aux murs figuraient les premiers dessins aux… pneus de bus réalisés par Rainer Schenk. Ils s’appellent 10kmh (selon la vitesse) ou portent le nom de l’endroit où ils ont été faits : un des étudiants met de la couleur sur les pneus, puis Rainer manœuvre lentement avec ce bus dont le pneu coloré imprime sa marque sur une feuille blanche. Rainer Schenk est l’assistant de Simone Decker à l’académie, il a passé le permis de bus pour l’occasion et s’est transformé en chauffeur de cette odyssée mêlant art et tourisme.
Dimanche matin, Ilija Lazarevic a travaillé dans une boulangerie du centre-ville, avec comme seule rémunération un certificat qu’il a bien rempli sa tâche à la satisfaction de son patron. Conscient qu’il sera extrêmement dur de faire sa vie comme artiste, Ilija réalise peu à peu un portfolio avec les certificats de tous les métiers auxquels il veut s’essayer, histoire d’augmenter son employabilité. Clara Fieger part en exploration dans les villes, à la recherche de mots marquants (sur des affiches, des panneaux et tout autre support écrit) qu’elle « collectionne » afin d’en faire des textes recomposés, poèmes de leur voyage. Dès leur arrivée à un nouvel endroit, Ina Ritter sort son petit aspirateur et aspire durant quelques secondes tout ce qu’elle trouve sur place. Les débris ainsi collectés sont soigneusement mis dans un sachet plastique et marqués de l’endroit de la collecte. Han Tang a amené des graines de poivrons qu’elle plante, puis va à la recherche de parrains (exclusivement des hommes, parce que cette sorte de poivrons a une forme phallique), qui veulent bien prêter leur prénom à la plante. Régulièrement, ils recevront des nouvelles de « leur » plante, photos à l’appui.
En réalité, derrière le côté humoristique de l’action de Hang Tang, il y a la même volonté à entrer en contact avec les passants que dans la cérémonie de thé chinoise que propose Cong Wang. L’artiste a construit un stand mobile pour son action, dans lequel elle propose du thé chinois durant une cérémonie assez longue qui devient vite un prétexte pour une discussion avec les gens qui y participent. L’artiste enregistre les conversations et envisage de réaliser une œuvre sonore lors de l’exposition finale de son cursus à Nuremberg. Elle a eu beaucoup de succès sur le parvis du Mudam. Ying Cheng Hung ramasse des débris de terrain et en remplit des pots de fleurs, dans l’espoir d’y faire pousser de nouvelles maisons. Une façon pour lui d’acheter une ville, de créer sa propre ville à partir de la mémoire de la terre. Jia Hu a amené de la feuille d’or et veut dorer un objet dans chaque ville ; à Völklingen, c’était la pointe d’une pyramide « décorative » bleue ciel de plusieurs mètres de haut censée faire de la publicité pour un exposition sur l’Égypte.
Ludiques, souvent légères, parfois subversives, les interventions des étudiants proposent de tout petits glissements du réel, de petits commentaires sur le contexte dans lequel ils se retrouvent. Que ce contexte soit différent chaque jour est un défi supplémentaire, une formidable école pour leur pratique future. Dimanche après-midi, le bus jaune et noir remettait les voiles vers ses prochaines destinations qui seront toujours celles où des centres d’art ou des académies veulent bien les accueillir.