Depuis quelques années, tout ce que le Luxembourg compte de mélomanes avertis prend ses vacances en juillet, ou en septembre. Surtout pas en août : c’est la période des Congés annulés, formule clin d’œil devenue gage de qualité et de découverte musicale durant une période généralement rythmée par la vacuité et les festivals champêtres. L’affiche de cette cuvée 2017 a fière allure, et nul doute que les plus curieux qui pousseront plus loin que le bar extérieur des Rotondes en seront récompensés.
Le week-end de lancement des festivités résuma à lui seul l’éclectisme de la programmation : un début en rage et fanfare aussitôt tempéré par de la douceur à fleur de peau. La première soirée fut dominée par le rythme, tout d’abord avec le duo genevois Hyperculte et leur mixture de krautrock et d’electro, très connotée DFA (le label new yorkais de James Murphy aka LCD Soundsystem), saupoudrée de passages parlés en français (l’influence de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp dont le contrebassiste Vincent Bertholet est membre). Leurs boucles sont entêtantes et énergiques, menées par la batterie métronomique de Simone Aubert. La contrebasse évoquée plus haut est détournée via les nombreux effets, ou carrément remplacée par une guitare sur certains morceaux. Une belle mise en bouche déterminée et dansante.
Dans la foulée, les enragés montois de La Jungle défloraient enfin leurs concerts luxembourgeois, avec toute la rage qui les caractérise. Après dix minutes de concert, le sol des Rotondes est déjà humide, souillé par la sueur ruisselant du front des premiers rangs, lancés dans des pogos aussi jouissifs qu’inhabituels dans cette salle. Le rock frénétique et débraillé des Belges fait mouche, et ce n’est pas une surprise pour ceux ayant aperçu le duo lors d’un des nombreux concerts donnés dans le plat pays ces deux dernières années. Avec peu de moyens (guitare, batterie et synthé), les deux compères y vont franco, se souciant peu de considérations stylistiques. Les introductions métalleuses se transforment en noise ou en disco-punk, faisant fermement monter la température à coups de giclées de guitares en boucle et de martèlement de fûts sauvage. La Jungle est un condensé de rock primal et moite, de coups de machette à la jugulaire de poulets courant dans tous les sens au rythme de la transe cathartique imprégnant inexorablement les membres inférieurs. Une certaine vision de ce qu’un concert doit être : intense, fiévreux, libérateur, sous des airs apocalyptiques.
Le grand écart proposé par Douglas Dare le lendemain n’en fut que plus jubilatoire. Le jeune Londonien d’adoption, signé sur Erased Tapes, le label d’Ólafur Arnalds, a subjugué le maigre public avec ses poèmes mis en musique, minimalistes à souhait, dans une configuration piano-voix dépouillant magnifiquement les mélodies brumeuses entendues sur disque (les déjà indispensables Whelm et Aforger). Si la musique de Douglas Dare peut être très complexe, l’immédiateté de textes aussi directs que lyriques s’exprime dans toute sa splendeur dans cette formule dénudée, comme si l’artiste s’offrait à nous. Un remarquable exercice de soustraction, jouant sur les silences entre les notes, interprétées par un crooner juvénile à la gamme vocale impressionnante. Entre les titres réarrangés de ses deux albums (pointons les magnifiques Nile, London’s Rose et Oh Father, complainte grave et intime évoquant le rapport paternel à sa propre homosexualité), Douglas expérimente et fait même rire, notamment quand il explique comment il a décidé d’interpréter le splendide Caroline a capella aux Rotondes après avoir vu Tony Bennett, 90 ans, le faire devant un parterre de 5 000 personnes au Royal Albert Hall de Londres. Cette performance entière et touchante fut ponctuée de deux reprises, exercice auquel il se confronte rarement. Tant White chalk de PJ Harvey, originaire comme lui de Bridport dans le sud-ouest britannique, que Daydreaming de Radiohead (en rappel) sonnèrent comme s’ils avaient été écrits par lui, pour lui. Une fascinante capacité à créer un univers aussi sombre qu’onirique.