Tout en haut de la Montée de Clausen, près des Casemates, c’est un samedi après-midi comme les autres pour le chauffeur du Pétrusse Express. Les visiteurs d’un jour descendent du petit train vert et vont vers la corniche avec leur perche à selfies, utilisant comme arrière-plan pittoresque de leurs séances photo narcissiques l’Abbaye de Neumünster et le Grund. Pourtant, à bien y regarder et surtout en tendant l’oreille, quelque chose est un petit peu différent aujourd’hui. De petites fourmis se pressent autour d’une scène tandis que des notes suaves s’échappent de la vallée. Une fois rentrés à Shanghai ou Düsseldorf, les touristes du 24 juin 2017 se rappelleront sans doute de Luxembourg comme d’une ville vraiment cool, avec un chouette festival musical sous le soleil, en plein cœur du quartier historique, là tout en bas.
Ce samedi avait lieu la première édition du Siren’s Call, festival urbain organisé par l’Atelier sur les cendres encore chaudes du défunt Rock-A-Field. Le principe n’est pas tout à fait le même : si le RAF mangeait à tous les rateliers dans une overdose de styles destinés à plaire au plus grand monde, au milieu d’un champ, sans être trop regardant sur la qualité intrinsèque des artistes, le Siren’s Call est beaucoup plus ciblé et parle au hipster musical qui sommeille en nous, les pieds fermement ancrés sur le tarmac, un verre de vin bio dans la main. Le concept de multiplier les scènes dans un cadre urbain n’est pas nouveau (on pense aux Nuits Sonores, au Sonar, à l’Iceland Airwaves, au SXSW ou, plus proches de chez nous, aux Aralunaires d’Arlon ou Beautés Soniques namuroises), mais l’organisation quasi impeccable combinée à un thermomètre affichant une température idéale pour ce genre d’événement résultèrent en une expérience assez plaisante pour le festivalier lambda.
L’affiche, ambitieuse, mettait l’accent sur la cohérence autour d’un style globalement indie-electro-pop relativement pointu, tout en restant assez inoffensif pour qui cherche la bonne surprise. Pour les puristes, c’est l’occasion de voir de chouettes concerts d’artistes peu mainstream dans des conditions particulières. On aura particulièrement apprécié la performance de Superpoze dans l’Église Saint-Jean, un lieu a priori pas véritablement adapté au style électronique du Français, auteur d’un live tout en nuance et en retenue. Un pari réussi pour les organisateurs, et un souvenir inoubliable pour les 200 et quelques spectateurs présents dans la très belle chapelle.
Sur la scène principale située sur le parvis de Neumünster, c’est l’Australien Ry X qui nous aura le plus ébloui. Accompagné de cordes (violons et violoncelle), il proposa une performance très orchestrée de son premier album Dawn, mêlant sa voix étincelante et androgyne à des nappes hypnotiques, pour un résultat tout en douceur et en mélancolie (notamment sur les magnifiques Shortline, Salt et Sweat, joués dans cet ordre en ouverture). Du côté du Melusina, troisième scène du festival, on retiendra avant tout… l’endroit ! En mettant de côté l’espace d’un samedi l’aspect has been d’un lieu plus vraiment dans l’air du temps, à la programmation commerciale, on a retrouvé une magnifique salle de concert, à taille humaine, où l’artiste est proche du public. C’est sans doute Ásgeir qui y proposa le set le plus abouti, mêlant paroles en Anglais et en Islandais (écrites par son père, le poète Einar Georg Einarsson). Pas d’effusion ni de grands discours, juste de la musique, malheureusement trop souvent gâchée par le tout aussi irritant que tenace brouhaha qui semble être le propre du festivalier en 2017.
Jusqu’à la performance d’Oscar And The Wolf, tout ceci manquait néanmoins d’un peu de folie. C’est sans doute le seul reproche artistique qu’on peut formuler à l’encontre d’une affiche curieuse et défricheuse, mais un peu répétitive. L’indie-pop mélancolique à voix singulière, c’est beau, voire très beau, voire transcendant, mais ça peut aussi devenir très vite un peu lassant sur la longueur (spéciale dédicace à James Vincent McMorrow). Le bondissant et élégant Thomas Azier a bien tenté de secouer le Melusina, mais son électro-pop reste relativement convenue et flirte un peu trop avec le mauvais goût pour véritablement emporter le mélomane sur un chemin de traverse.
Autant assumer jusqu’au bout, c’est ce que s’est dit Max Colombie aka Oscar and the Wolf, complètement à l’aise dans son trip mêlant rythmes hip hop / dubstep, phrasé RnB et sonorités électro, assez loin de l’indie-pop ciselée qui l’avait fait connaître (écoutez le single Orange Sky pour vous en convaincre). Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, un concert du Belge est un véritable spectacle mené de main de maître par un showman bling bling accaparant la scène. Une icône gay virevoltante, remuante, exubérante, haranguant la foule, balançant des sourires éclatants aux jeunes filles et garçons du premier rang. Ah oui, et la musique au fait ? Une succession d’assonances et de moments assez cheesy, entrecoupés par quelques fulgurances. Rien de très excitant à première vue. Mais quel enthousiasme sur scène comme dans le public ! Rien que pour cela, on lui pardonne tout.