Étienne Boulanger y est mort. La résidence new-yorkaise que le Prix Steichen a valu au jeune artiste français (il avait alors 32 ans) en 2007-2008 fut aussi son lieu de décès : il y est mort accidentellement. Au Mudam actuellement, sa salle est la plus puissante et la plus cohérente : Shots 2004-2006 montre, par plusieurs projecteurs de diapositives, des centaines d’images de lieux à l’abandon, de non-places, prises essentiellement à Bejing et documentant cet entre-deux des espaces en attente de destruction, à l’époque avant la construction des installations sportives pour les jeux olympiques de 2008.
Lancé en 2004 par une association sans but lucratif constituée autour de l’ambassadeur du Luxembourg auprès des Nations-Unies et artiste-peintre à ses heures perdues Hubert Wurth, principalement par ses pairs et ses amis – dans le catalogue, il raconte naïvement la genèse de l’idée, les dîners en ville et les contacts qui ont mené vers sa création – le Prix Edward Steichen (ou Edward Steichen Award – Esa) est attribué tous les deux ans à un artiste prometteur ayant entre 25 et 35 ans. Le prix consiste essentiellement en une résidence de six mois à New York. Suite aux protestations de plusieurs sponsors et financiers, notamment le ministère de la Culture, qui critiquaient le fait que le prix, payé au Luxembourg, était allé deux fois de suite à des artistes français, il fut doublé d’un prix « light » pour artistes autochtones en 2011, dont la résidence new-yorkaise ne dure que quatre mois.
Le prix porte le nom d’Edward Steichen, car comme lui, qui avait quitté Biwange bébé pour s’installer avec sa mère aux États-Unis et y faire la carrière qu’on connaît, les artistes traversent l’Atlantique pour s’y former.
Remis tous les deux ans dans le cadre d’une cérémonie très solennelle au Mudam et accompagné d’un dîner fastueux avec les artistes réservé aux sponsors et aux amis, le prix Steichen restait jusqu’à présent tout à fait opaque pour le grand public, n’ayant aucun accès aux artistes dont le nom figurait dans le journal sous une photo de la remise du trophée par la grande-duchesse et Hubert Wurth. Que le Mudam décide donc, après le succès de sa rétrospective des présences luxembourgeoises à la biennale d’art à Venise, de consacrer une rétrospective aux lauréats du prix Steichen est plutôt une initiative louable. Enfin, le public peut se faire une idée des positions artistiques des lauréats avant, durant ou après leurs résidences new-yorkaises. Et il s’avère que leur seul point commun est… qu’il n’y en a pas.
Dans le catalogue de l’exposition, le directeur du Mudam et commissaire de NY-Lux, Enrico Lunghi, compare le prix Steichen au Turner britannique et au Marcel Duchamp français. C’est peut-être exagéré, mais il est vrai que la niveau élevé des deux jurys qui s’investissent à chaque édition – les membres des comités de nomination proposent chacun un artiste, alors que le jury, différent du premier groupe, retient un de ces nominés pour le prix –, contribue à construire peu à peu sa crédibilité.
Néanmoins, l’exposition en soi, dans les deux galeries du rez-de-chaussée du Mudam, est un peu trop légère et décousue. Ainsi, les œuvres de Sophie Jung (lauréate de 2013, elle ne partira à New York qu’en 2015), travaillant par associations très libres et personnelles d’objets de récupération et de récits autobiographiques, semblent encore tellement immatures, comme des évocations de ce qu’elle voudrait faire un jour. Là où Claudia Passeri, lauréate « luxembourgeoise » en 2011, et Maria Loboda, également lauréate de 2011, proposent des installations énigmatiques d’objets sculpturaux, Jeff Desom, lauréat « junior » en 2014, remontre les films qui ont fait sa renommée – du Rear Window Loop réalisé pour l’Exit07 en 2010 jusqu’aux clips vidéo pour le pianiste Hauschka, en passant par ses court-métrages –, qui ne sont une découverte que pour le public déconnecté de la scène locale.
Dans l’aile gauche du Mudam, il y a peut-être plus de réminiscences entre les positions artistiques : la musique et le son pour Su-Mei Tse (lauréate 2005) et Bertille Bak (lauréate 2009), avec le très poétique manège filmé Vertigen de la Vida (2011) de la première et la belle installation sonore de la dernière, Notes englouties, qui propose un voyage dans les bruits des lignes de métro de plusieurs grandes villes. Ou les paysages urbains et le voyage, le déplacement chez Bertille Bak et Étienne Boulanger.