Sophie Jung au Mudam

The Magic Touch : portrait de l’artiste en feu follet

d'Lëtzebuerger Land du 28.03.2014

Un peu d’anglais s’impose pour une artiste qui, si elle a toujours son point d’attache à Bâle, et comme un lointain repère à Luxembourg, poursuit ses études en Angleterre, y travaille avec la Ceri Hand Gallery ; en plus, lauréate du dernier prix Edward Steichen, la voici qui l’année prochaine s’envolera pour New York pour une résidence de six mois. The Magic Touch, l’expression est empruntée à une œuvre exposée au Mudam, titre d’un article de journal repris, rien de plus, elle n’en caractérise pas moins justement la manière de Sophie Jung, une patte ou un coup de baguette donnant aux choses un autre air, une tout autre aura.

Aujourd’hui, Sophie Jung est présente en trois endroits, Mudam pour une exposition des lauréats du prix Edward Steichen depuis sa création en 2005, centre d’art Dominique Lang, à Dudelange, et bâtiment Arendt & Medernach, au Kirchberg. Et de même que dans la salle du Mudam ou aux deux étages du centre d’art, le visiteur se trouve pris dans un univers tout personnel, allant d’une œuvre à l’autre, parcours accompagné des fois de bruits, d’une voix chantante, il ira d’un endroit à l’autre, étapes pour autant de manifestations qu’on apparentera volontiers à un feu follet. Cela dans leur apparition lumineuse, dans leur poésie, dans leur malice.

Sophie Jung, si elle a abouti à un véritable cross-over, croisement de toutes sortes de formes et d’expressions artistiques, sculpture, installation, vidéo, performance, a commencé par la photographie. Et chez Arendt & Medernach, telles œuvres s’avèrent particulièrement favorables à une première approche. Comme l’artiste se mettant en scène elle-même, jouant du piano, avec toute la part (ludiquement) intime révélée par le titre, en premier la robe de mariée maternelle ; il est souvent dans le travail de Sophie Jung pareille dimension, une expérience, un lien qu’on peut même dire carrément sentimental, dépassés toutefois vers l’universel, avec une belle formalisation. Ce qui est encore le cas dans la série easyJet qui a valu à Sophie Jung le prix de la ville de Levallois : un bout de l’aile de l’avion dans des ciels (quand les cieux passent à l’art) changeants qui réfèrent aux réflexions esthétiques de Kandinsky.

De la sorte, et cette volonté s’accentue dans les installations aux deux autres endroits, Sophie Jung invite à un partage, révélant ensemble un côté secret des objets qu’elle emploie. Peut-être que le visiteur peut accéder ainsi à une meilleur compréhension, voir dans ces assemblages, ou montages hétéroclites, comme des (auto)portraits, faits par exemple de chiffons ou torchons qui ont quand même un aspect très esthétique, disons à la Josef Albers. Peu de ces assemblages, dans un esprit un peu dadaïste, restent cantonnés au sol ; la plupart du temps, il est un étai qui fixe contre le mur, et il est alors comme une image, un tableau. Dira-t-on que Sophie Jung fait de la peinture comme de la sculpture, bien sûr, avec d’autres moyens, par d’autres voies.

Et à part ces matériaux très communs dont elle se sert, comme ramassés et gardés au fil des jours, il est autre chose qu’elle utilise dans ses expérimentations plastiques : les mots, les sons, dans leur rapport, leur circulation avec les images justement. D’où le recours continuel aux outils audio et vidéo modernes où souvent c’est elle-même qui est présente encore, distante en même temps par une bonne dose d’humour, de l’ironie et de la malice.

Dans les œuvres de Sophie Jung, on n’a aucun mal à détecter des couches qui se superposent, qui s’interpénètrent pour donner quelque chose qui ait ensemble de la légèreté, qui tient au caractère enjoué, et du sérieux (pour ne pas dire de la gravité). Du banal, qui vient de la vie de tous les jours, de la société de consommation, se trouve mis en forme, il existe constamment ce souci d’excellence formelle. Enfin, une réflexion y est inhérente, sur la démarche même, sur le statut, la signification des œuvres.

La vérité n’est pas en ut majeur, dit Sophie Jung dans un court texte qui accompagne son exposition à Dudelange, qui porte comme titre : Three chords and the truth. Son art est fait exactement de petites touches, de notes auxquelles il faut prêter une oreille attentive ; et son moindre avantage n’est pas de laisser une liberté certaine, pour une résonance elle aussi toute particulière, toute personnelle

L’exposition NY-Lux – Edward Steichen Award au Mudam dure encore jusqu’au 9 juin (www.mudam.lu) ; The world is blue like an orange chez Arendt & Medernach, 14, rue Erasme à Luxembourg-Kirchberg dure jusqu’au 12 septembre, accessible au public les samedi et dimanche de 9 à 18 heures ; Three chords and the truth, l’exposition monographique de Sophie Jung au Centre d’art Dominique Lang à Dudelange est ouverte jusqu’au 19 avril (www.galeries-dudelange.lu).
Lucien Kayser
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