Cinéma

La vengeance des connards

d'Lëtzebuerger Land vom 04.09.2020

À Alsina, le temps semble s’être arrêté. Située dans la province de Buenos Aires, pas très loin de la capitale argentine, la petite ville vit au ralenti, oubliée du monde. Le offres d’emploi y sont rares, les activités réduites, même pour aller à la banque, il faut faire un paquet de kilomètres pour se rendre dans la ville voisine. En voiture, bien évidemment ; quelques trains y passent encore, mais sans s’arrêter. La gare a fermé, tout comme son service de la voirie ou les silos agricoles.

Des silos, portant le nom de La Metodica, que les époux Perlassi, qui tiennent la station-service de la ville, veulent remettre en état. Leur projet ? Mettre sur pied une coopérative avec les fonds de plusieurs amis et quelques personnalités locales, racheter les lieux aux descendants des derniers exploitants et permettre ainsi une nouvelle fois aux paysans locaux de stocker leurs productions, tout en redonnant du travail à une bonne trentaine de familles. Bref, de relancer, un peu du moins, l’économie locale.

Avec le coup de main de leur vieil ami, Antonio Fontana, anarchiste citant à envie Mikhaïl Bakounine, ils essayent de réunir les 300 000 dollars – la monnaie locale est le peso, mais les prêts immobiliers se font en dollars américains ; les deux monnaies ont, officiellement la même valeur. Cette égalité artificielle ne sera pas sans conséquence dans l’économie nationale argentine, et dans l’histoire de nos anti-héros – demandés par les héritiers des lieux en faisant du porte à porte.

Malheureusement leurs efforts ne suffisent pas. En attendant de boucler le budget, Fermin Perlassi, décide de mettre les quelque 150 000 dollars accumulés dans un coffre à la banque. Pour le reste, il demande un prêt. Mais comme ses comptes sont (presque) vides, la banque refuse. C’est là que son banquier lui propose une solution miracle : Sortir l’argent du coffre et le mettre sur un compte bancaire de manière à ce que les responsables de la banque, à Buenos Aires, acceptent de lui prêter la somme manquant pour sa transaction.

Seul problème : la demande de prêt doit partir le jour même. Perlassi hésite, mais finit par accepter. Après tout, il a entière confiance en son banquier, et le compte est bien à son nom. Mais voilà, on est en décembre 2001 et le lendemain, pour mettre fin à la fuite des capitaux et à la course aux liquidité l’État instaure le corralito. Les retraits d’argent sont désormais limités à 250 pesos par semaine. C’est la crise dans le pays. Et pour les rêveurs du projet La Metodica, c’est la douche froide.

Et elle va encore se refroidir davantage quand ils vont découvrir quelques jours plus tard que le banquier était au courant pour le corralito et juste après que Perlassi ait déposé ses 150 000 dollars en petites coupures, il va remettre tous les dollars présents dans sa banque à l’avocat Fortunato Manzi, en échange de l’équivalent en pesos. Un coup parfait ou presque.

Presque, car un employé de la banque soulève le pot-aux-roses. À partir de ce moment-là, Perlassi et sa bande n’auront qu’un but : se venger. Alors quand ils découvrent que Manzi a fait creuser un énorme trou en plein milieu d’un champ perdu pour y installer un énorme coffre-fort inviolable muni d’une alarme ultrasophistiquée, ils vont mettre sur pied un plan pour récupérer ce qu’il leur a pris.

Mais la bande ne ressemble en rien à celle de Danny Ocean. Vieux, bêtes et blasés, passant au moins autant de temps à s’engueuler entre eux qu’à échafauder le plan, les comparses multiplient les échecs. Mais peu à peu, la roue semble bien vouloir tourner.

Réalisé par Sebastián Borensztein (Prix Goya 2011 du meilleur film étranger en espagnol pour Un cuento Chino), avec le plus bankable des comédiens argentins, Ricardo Darin, cette Odisea de los Giles (qui pourrait se traduire littéralement par « L’Odyssée des connards », mais proposée sur le marché international en tant que Heroic Losers) résume merveilleusement ces années en Argentine et à travers un récit à hauteur d’homme qui traduit le sentiment de toute une nation.

Le scénario est malin, surprenant et souvent drôle, les comédiens magnifiques, la photographie réussie avec ces flous qui isolent les personnages, la BO pertinente à travers ces propositions de rock argentin… Pas étonnant que le film ait connu sa première mondiale au prestigieux festival de Toronto et ait remporté le Goya du meilleur film latino-américain. Succès critique incontestable, le film a également connu un beau succès populaire en Argentine. Amplement mérité !

Pablo Chimienti
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