Deux choses : mettre en scène Faust II de Goethe sur une scène luxembourgeoise et traverser l'Atlantique en solitaire. Voilà les deux choses que Charles Muller aimerait faire dans un avenir proche. D'ailleurs la priorité va au second, parce qu'à 47 ans, il en est arrivé à la conclusion qu'on est toujours seul quelque part, qu'on ne grandit qu'en affrontant cette solitude. « Et j'ai aussi appris à aimer la beauté des choses, celle d'une tempête en haute mer par exemple. » Avant, il était escrimeur - engagé en 1998 encore aux championnats d'Europe senior - donc à l'attaque. La voile en solitaire, c'est tout autre chose, un besoin de calme et de repos, de se laisser glisser dirait-on.
Charles Muller sort d'une période éprouvante de sa vie : ces trois dernières années, il a assuré l'intérim à la direction de la Staatliche Hochschule für Musik und Darstellende Kunst à Stuttgart, où il enseigne depuis 1985. Ce qui veut dire : charges administratives de la gestion d'un tel établissement avec tout ce que cela comporte, et parallèlement, le travail artistique, la mise en scène, les cours. « J'avais l'ambition de prouver que l'école n'irait pas droit dans le mur durant cette phase de transition. » À l'arrivée - l'intérim s'est terminé en juillet - il a la fierté d'avoir assumé et même assuré : chaque année une mise en scène au théâtre de l'école, le Wilhelmina Theater, et en plus, le succès professionnel de la promotion 1999/2000. L'agence étatique ZBF (Zentrale Bühnenvermittlung Frankfurt) a retenu six des huit élèves de dernière année - un très bon résultat, estime Charles Muller. Maintenant, c'est lui qui se trouve en phase de transition, en train de se demander que faire maintenant, par où évoluer.
Il arrive en tenue de sport, casquette aux insignes de son club de voile et sac à dos. Même si cette décontraction apparente peut tromper, si Charles Muller a gardé la même tension, la même nervosité, il est vrai qu'il semble plus serein, plus calme, comme à la recherche d'une nouvelle qualité de vie. Parti en 1974, ensemble avec son compagnon de route André Jung, pour conquérir les planches, apprendre le métier de la scène, à Stuttgart justement, puis pour en vivre en Allemagne, Charles Muller est en train de redécouvrir le Luxembourg. Grâce à de nouvelles attaches personnelles, il est vrai, mais par le théâtre aussi. Sa relation au Luxembourg, il la qualifie de « déchirée et nostalgique ». Comme ses collègues d'émigration, il n'envisageait jamais vraiment un « retour ». Maintenant, il dit redécouvrir d'ancien amis, renouer des contacts. Et apprécie.
Sur les scènes in luxembourgeoises, on ne le voit que sporadiquement, la dernière fois en 1994/95, pour les Goldberg-Variationen de George Tabori, qu'il avait mis en scène et joué au Capucins. Suivirent quelques projets de mise en scène « atypiques » disons : D'Klëppele bei d'Trom de Alain Atten et le musical Smalltime de Gast Waltzing et Maggie Parke (1995), tous les deux au « grand » théâtre municipal, puis cette saison, Léiwer eng Käerz am Häerz wéi eng Bir op der Stir de Guy Rewenig avec la troupe de cabaret du Peffermill(ch)en au Théâtre des Casemattes.
À Stuttgart, avec les étudiants, il a monté Titus Andronicus de Shakespeare en automne dernier, parce que « je n'ai pas vu de possibilité de faire une comédie légère alors que la guerre du Kosovo venait de nous rappeler la barbarie dont nous sommes capables. » Deux jeunes actrices luxembourgeoises y ont participé, Claude Dedemo et Brigitte Urhausen, toutes les deux en première année, dans les pas donc de Luc Feit et Steve Karier, qui ont également « fait Stuttgart ».
Sa préférence va-t-elle à la mise en scène ou au jeu ? Un moment de réflexion, le temps d'allumer une cigarette, puis, avec sa belle voix grave : « la mise en scène, sans aucun doute ». Déjà durant la formation, « mais je voulais néanmoins jouer pour savoir ce que cela représente, pour savoir ce qu'on peut demander à un acteur. »
Charles Muller a le coeur sur la main. « C'est l'amour des hommes qui me pousse à faire mon métier, » avance-t-il et qu'il se compterait plutôt parmi la catégorie des metteurs en scène qui privilégient le texte. « Je me suis toujours engagé pour un concept de théâtre sensuel plutôt que visuel, pour moi, le texte compte toujours plus que les images. » Lorsqu'il prépare une mise en scène, il choisit d'abord un texte, le décortique, le désarçonne, l'analyse, avant d'attaquer le travail de réalisation à proprement parler. Toujours à la recherche d'une réponse à la question fondamentale : « Qu'est-ce qui motive les gens à faire aux autres ce qu'ils leur font ? ».