On l'a vu se taire, deux fois déjà, sur scène. Une fois la saison dernière, au Capucins, dans Katzelmacher de Fassbinder, où il jouait Jorgos, l'étranger, la deuxième fois dans Bruchstück II de Beckett, suicidaire anonyme qui passait 45 minutes le dos tourné au public. Et pourtant, il avait une présence, une tension au moins aussi intrigante qu'à ses débuts, en parlant et en criant en violent irascible dans Les Orphelins, au Centaure. D'ailleurs c'est la directrice du Centaure, Marja-Leena Juncker, - encore elle ! - qui l'a « découvert » dans un des cours d'art dramatique qu'elle assure au Conservatoire municipal, lui a donné sa chance en avril 1996 dans Lapin Lapin, une comédie de Coline Serreau.
Car de formation, Frédéric Frenay est psychologue, a fait une agrégation à Liège - il est Belge - pour devenir prof. Sa femme, qu'il rencontrera justement à Liège, luxembourgeoise, l'amènera au Grand-Duché, dans les méandres du travail social d'abord, puis, par le biais du conservatoire, au théâtre. « C'est ma femme qui m'a poussé, » dira-t-il, que les quelques expériences qu'il avait faites durant ses études lui avaient donné le goût des planches, mais finalement, comme trop de jeunes encore, il préféra des études menant à un emploi « sérieux ».
Sa femme avait raison. En l'espace de quatre ans, Frédéric Frenay est devenu un des acteurs les plus intéressants de la scène luxembourgeoise et représente avec des gens comme Sascha Ley, Daniel Plier, Frank Sasonoff, Isabelle Bonillo ou Valérie Bodson quelque chose qu'on pourrait appeler une « nouvelle génération » si le terme n'était pas tellement rabâché. Ce sont ces jeunes acteurs qui vivent de leur métier - sans être, à côté directeur de théâtre -, et seront peut-être parmi les premiers demandeurs du statut d'intermittent du spectacle.
Ah oui, parlons statut. Depuis un an et demi, Frédéric Frenay est assuré comme indépendant, matricule de TVA et tutti quanti. Parce que le nouveau statut d'intermittent n'existait pas encore. Un acteur aujourd'hui doit aussi être gérant de sa propre fortune, un véritable comptable. Depuis Lapin Lapin, Frédéric Frenay n'a pas arrêté de travailler, enchaîne pièce sur pièce. Résultat des courses : durant l'année 1999, qu'il considère comme ayant été une « très bonne année fiscale », il aura gagné 70 000 francs brut en moyenne par mois. Vu le montant des charges pour un indépendant, il ne restera pas des masses. Forcément qu'il s'est renseigné auprès du ministère de la Culture pour les modalités à remplir pour le nouveau statut, mais hésite encore entre celui d'intermittent et celui d'artiste indépendant.
Et puis il y a l'assurance accident. Lors d'une représentation d'une co-production internationale, Frédéric Frenay s'est froissé l'épaule et a dû être hospitalisé. Un an plus tard, les deux théâtres coproducteurs refusaient de payer la facture de l'ambulance, c'est lui qui a casqué alors qu'il s'agissait d'un accident de travail. Depuis, il est aussi syndiqué à l'OAG-L.
Mais ces problèmes administratifs ne constituent que le cadre d'un métier passionnant que Frédéric Frenay a dans la peau, cela ne fait aucun doute. À 28 ans, il a encore toute sa curiosité, son ouverture d'esprit, une soif d'expériences : « Je prends tout ! » affirme-t-il, « je ne veux pas être trop vite dans une petite boîte. C'est amusant de changer de registre. » Il est vrai aussi qu'il reste toujours « jeune premier », qu'il ne peut pas encore se permettre de ne pas prendre un contrat. Au Luxembourg, sans troupes fixes, les acteurs sont dépendants des contrats, ne peuvent souvent planifier qu'à court terme. Même si Frédéric Frenay aurait, de par sa nature, plutôt un penchant pour les rôles de « méchant » ou de « violent » - « parce que je suis très nerveux » - il veut tout essayer. Et dira que « chaque projet m'a amené un cran supplémentaire ». La comédie légère avec Le Menteur de Goldoni, le délire burlesque dans Kvetch de Steven Berkoff, la littérature grave dans L'annonce faite à Marie de Paul Claudel. Une production du Centaure, avec laquelle il a pu jouer au Festival d'Avignon, en off, l'année dernière. « J'ai la chance de beaucoup travailler dans des coproductions, qui commencent à foisonner. C'est bien que des gens sortent et que d'autres entrent, » estime-t-il. Forcément que cela plaît de voyager, même si à la maison, sa petite fille de deux ans et demi l'attend.
Ses projets ? Ils vont dans tous les sens. En ce moment, il s'investit beaucoup dans la Ligue d'improvisation luxembourgeoise, créée il y a deux ans avec ses amis Alain Holtgen, Daniel Plier et Valérie Bodson, qui en constituent désormais le noyau dur. Tous les lundis, ils se retrouvent de 18 à 22 heures à la Kulturfabrik à Esch pour un workshop d'improvisation - les curieux sont les bienvenus - avec l'objectif, quelque part, d'organiser des matchs d'impro. Au choix des sujets tirés au hasard par le public, les acteurs s'y retrouvent à se livrer de véritables joutes oratoires en improvisation totale, à qui mieux mieux. « C'est une activité très ludique, on veut d'abord s'amuser, » affirme Frédéric Frenay. Depuis l'ouverture du café-théâtre de Shlomit Butbul à Rédange, ils y sont les invités réguliers, une fois par mois. Après une première expérience plutôt positive, la Ligue y jouera ce soir à partir de 20 heures.
Puis suivra, dans son agenda, la participation au musical West Side Story que Claude Mangen mettra en scène au festival de Wiltz cet été - encore une nouvelle expérience pour Frédéric Frenay. Les deux hommes risquent d'ailleurs de retravailler ensemble plus tard. À moyen terme, on verra. Et Frédéric Frenay de se mettre à rêver de tous les projets qu'il aimerait monter, si l'occasion se présentait. Une première mise en scène en vue, quelque chose de plus expérimental, qui garde une certaine fragilité.
Mais tout cela, il ne faut pas en parler. Ça pourrait porter malheur.
Frédéric Frenay et la Ligue d'improvisation joueront vendredi 5 mai 2000 à 20 heures au café-théâtre L'inouï à Redange/ Attert (67, grand-rue - téléphone pour informations : 26 62 02 31.)