La principale inconnue des élections pour la Chambre des salariés (CSL) sera le score personnel du président de l’OGBL, André Roeltgen. Le nombre de votes nominatifs qu’il totalisera mardi va faire ou défaire la légitimité avec laquelle il pourra prétendre à la succession de Jean-Claude Reding. En 2013, Roeltgen avait été élu in extremis, ayant fini neuvième sur la liste de son groupe socioprofessionnel. Face au Land, il refuse d’en dire plus sur ses ambitions personnelles. Interrogé à la matinale de la Radio 100,7 sur la future présidence de la CSL, il avait eu cette réponse, sibylline : « On en a discuté en interne et cela restera interne. »
Les suffrages de liste dominant les élections de la CSL, ce seront les votes des quelques rares panacheurs qui finiront par classer les candidats entre eux. Les apparatchiks syndicaux doivent se présenter, en tant qu’employés des service providers que sont devenus l’OGBL et le LCGB, dans le « Groupe 5 », celle rassemblant « les salariés appartenant au secteur des services ainsi qu’aux autres branches non spécialement dénommées ». Le LCGB a truffé sa liste de six permanents (dont Dury), l’OGBL se contentant de trois candidats issus de son appareil (dont Roeltgen).
Tant André Roeltgen que Patrick Dury se refusent à donner la moindre information sur les budgets engagés dans la campagne. « Ce sont des chiffres internes qu’on ne communique pas », dit le président de l’OGBL. Il n’aurait pas à publier les comptes de campagne, estime le président du LCGB, son syndicat ne recevant pas de financements de la part de l’État. Le syndicat chrétien a laissé ses traditionnels panneaux en bois dans les entrepôts et passe par les publicités low cost de Facebook et de Google Ads. (Même si son slogan « Haut ass muer » a été censuré par Google, dont l’algorithme a confondu le verbe luxembourgeois avec le terme anatomique anglais.) Mais c’est le « syndicat n°1 » qui a mis le paquet. L’OGBL a acheté des emplacements publicitaires dans la presse, sur RTL-Télé Lëtzebuerg et RTL.lu ainsi que dans les salles de cinéma du groupe Kinepolis.
Dans ses brochures, l’OGBL se targue de ne pas avoir lancé « une vaste distribution de gadgets comme d’autres syndicats sont en train de le faire ». Or, le coût de sa campagne électorale devrait de loin dépasser celle du LCGB. « Lorsqu’on me demande si les montants déboursés pour la campagne ne sont pas trop élevés, je réponds que oui », dit André Roeltgen. Or, ajoute-t-il, ce serait la faute à la « Gewerkschafts-Spaltung » qui conduirait à une « campagne électorale concurrentielle » ; « et gëtt méi deier, wéi et misst sinn. »
La campagne du LCGB, conçue par l’agence de communication Addedvalue, met l’accent sur la « digitalisation humaine », incarnée par un petit robot surnommé « Diggi », toujours souriant, toujours serviable. Sur les visuels, Diggi passe le tournevis à un ouvrier quand il ne traite pas des fichiers Excel pendant qu’une employée de bureau s’offre une pause-café. Diggi vous assistera même à poster votre bulletin de vote pour les élections sociales. Le LCGB est allé jusqu’à faire confectionner des petits Diggis en peluche.
Les affiches et clips de l’OGBL, élaborés par l’agence Comed, sont plus martiaux : un ballet aérien mélangé à des figures de karaté, le tout filmé au ralenti avec une musique de film d’action. Le salariat est représenté par différentes uniformes : l’employé de bureau en costume-cravate, la mécanicienne en bleu de travail, l’ouvrier du bâtiment en gilet jaune. Pour donner une touche ludique à sa campagne, l’OGBL a commandité un sketch à Andy Bausch. Le réalisateur s’est inspiré d’une scène de Life of Brian des Monty Python (« What have the Romans ever done for us ? »), faisant jouer à l’intellectuel organique du LSAP Marc Limpach le rôle de PDG hargneux et sectaire. Preuve de son efficacité, le pastiche n’aura pas laissé indifférent. Il a piqué au vif certains représentants patronaux, comme le directeur de la CLC, Nicolas Henckes, qui a fustigé sur son compte Twitter une « vidéo scandaleuse » et « indigne ».
Sinon, le seul point qui aura un peu animé le débat est la sous-représentation des femmes sur les listes électorales : pas moins de 70 pour cent des candidats pour la CSL sont des hommes. Mais, en fin de compte, on a assisté à une longue et fade campagne. D’abord, parce que la majorité absolue de l’OGBL semble assurée, le syndicat de gauche totalisant actuellement 38 mandats sur soixante. Ensuite, parce que Roeltgen aura refusé jusqu’à maintenant tout débat public avec Patrick Dury. Enfin, parce que les programmes électoraux du LCGB et de l’OGBL sont quasi-identiques : hausse du smic, défense de l’index, indemnisation des stages, intensification de la cogestion, etc. La seule différence, c’est que le programme de l’OGBL s’assume comme ouvertement politique. On y retrouve des revendications touchant à la fiscalité (réintroduction de l’impôt sur la fortune), à l’immobilier (« taxe de rétention » au niveau national) et au dérèglement climatique. Le tout se terminant sur le credo antimilitariste.
L’OGBL tient sa concurrente en mépris. En 2013, l’objectif affiché de Jean-Claude Reding était de forcer le LCGB en-dessous de la barre des vingt pour cent. Ce scénario aurait fait perdre sa représentativité nationale au syndicat chrétien, l’aurait exclu des organes à composition tripartite ainsi que de la majorité des négociations collectives. Bref, l’OGBL souhaitait la mort du LCGB. Mais le syndicat chrétien aura survécu.
Devant la porte de son bureau, Patrick Dury a fait placer une vitrine à la gloire du trône, de l’autel et de lui-même. L’ancien ingénieur-technicien de l’Arbed, élu président du LCGB en 2011, y expose les distinctions honorifiques que lui ont attribuées les gouvernements successifs. Sur la dernière étagère, il a placé une photo qui le montre serrant les mains à Benoît XVI. (Dury avait rencontré le pape en mai 2012, lors d’une « audience générale » qui se tient chaque mercredi au Vatican.)
Les élections des délégués du personnel détermineront, elles, les rapports de force sur le terrain. L’OGBL y envoie 5 120 candidats (dans 710 entreprises), le LCGB 3 750 candidats (dans 456 entreprises). Malgré la revendication d’un syndicat « unitaire » ou « unique » défendue par Reding puis Roeltgen, le LCGB aura réussi cette fois-ci à mobiliser 500 candidats de plus qu’en 2013, alors que le nombre de candidats présentés sous étiquette OGBL stagne. Mais les principaux discriminés du dialogue social dans les entreprises, ce seront de nouveau les délégués élus sans étiquette syndicale. Ils n’ont ni le droit de négocier les conventions collectives ni même d’afficher des informations sur les panneaux à l’intérieur de l’entreprise.
D’après une étude conduite en 2013 par le Liser (non publié, elle vient d’être citée par la Radio 100,7), ces non-affiliés formeraient la majorité parmi les délégués avec 53 pour cent. Dans les entreprises qui ont connu la plus forte expansion, ni l’OGBL ni le LCGB n’ont réussi à mettre un pied dans la porte. Que ce soit chez Amazon (2 250 employés) ou chez les Big Four (qui totalisent quelque 8 000 salariés), les syndicats n’ont aucune implantation. (À part PWC Legal et KPMG, où, d’après Dury, le LCGB présentera des listes.) Contrairement aux banques, les Big Four semblent immunisés par leur « corporate identity » contre toute tentative de syndicalisation. C’est que la cooptation dans l’oligarchie des associés se fait à l’issue d’un pénible processus d’inclusion et d’exclusion, le « up or out ». Avant que ne se forme l’idée de se syndiquer, la plupart des jeunes « talents » sont déjà partis ailleurs.
Au début des années 1990, le jeune secrétaire central André Roeltgen avait réussi à faire tomber le vaste secteur de la santé – en plein boom grâce aux financements étatiques – sous la coupe de l’OGBL, créant ainsi une nouvelle assise pour son syndicat. Avec Nora Back, l’OGBL aura son deuxième président consécutif à avoir gagné ses galons dans le secteur paraétatique. Dans l’imaginaire syndical, l’aide-soignant a succédé au sidérurgiste. (L’État finissant par régler l’ardoise dans le secteur de la santé, il est même possible d’y mener des grèves et de les gagner.) Aux dernières élections pour la CSL, l’OGBL captait 74 pour cent des votes dans le « Groupe 7 », qui regroupe les salariés du secteur de la santé et de l’action sociale. Ce fut son meilleur score parmi les neuf groupes professionnels.
Si le LCGB se présente donc comme défenseur de « ceux du secteur privé », ce n’est pas seulement une tentative de se distinguer d’un OGBL longtemps mené par l’ex-instituteur Jean-Claude Reding ; c’est également un aveu d’échec. D’après Mylène Wagner-Bianchi, la présidente du syndicat chrétien des cheminots Syprolux, ce recentrage du LCGB sur le seul secteur privé aurait provoqué « la mise en veille » du contrat de coopération qui liait les deux syndicats.
Le LCGB poursuivrait-il une stratégie d’« ADR-isation » (l’ADR de l’avant-Kartheiser qui jouait sur les ressentiments anti-fonctionnaires) en exploitant le clivage public-privé ? Patrick Dury n’apprécie pas la question et menace de mettre fin à l’interview : « C’est une insinuation très grave et très méchante ! » Puis de poursuivre : « Sur nos principes, nous n’avons rien à voir avec l’ADR. Nous ne parlons pas des traitements [des fonctionnaires, ndlr]. Nous ne parlons pas de ce que les uns ou les autres gagnent. Nous ne menons pas de discussions de comptoir. »