L’accès à Internet fait partie de ce que les Américains sacrifient en tout dernier lorsque tout va mal. Les chiffres pour l’année 2008 publiés par la Commission fédérale des communications (FCC) montrent qu’en cet annus horribilis, marqué par un enchaînement d’exécrables nouvelles financières et économi-ques, de la faillite de la banque Lehman Brothers aux affres de l’industrie automobile, en passant par les fameux « foreclosures » qui ont accompagné l’effondrement du marché immobilier, le taux d’accès au haut débit a augmenté de dix pour cent, portant le nombre de connexions fixes à 77 millions (les 25 millions de connexions mobiles à haut débit à fin 2008 ne sont pas incluses dans ce chiffre). Certes, l’année précédente avait connu une expansion plus importante du marché des fournisseurs d’accès, avec une croissance de 17 pour cent. Mais qu’en pleine crise économique, avec une croissance négative du PIB de 5,7 pour cent au second semestre et une augmentation du chômage de 5,4 pour cent en mars à 7,8 pour cent en décembre, les Américains non seulement aient conservé, mais aient aussi été nombreux à contracter une connexion est révélateur de la place prise par le Net dans leur vie quotidienne.
Les chiffres pour l’année suivante, pendant laquelle le maras-me s’est poursuivi pendant au moins trois trimestres, n’ont pas encore été publiés par la FCC. Mais selon une enquête de Pew Internet [&] American Life Project publiée en juin 2009, la croissance du nombre de connexions s’est poursuivie aussi, alors que tous les indicateurs continuaient de piquer du nez durant le premier semestre de la présidence Obama. Et ce malgré une hausse notable du prix moyen des connexions haut-débit, à 39 dollars par mois contre 34,50 en 2008. 63 pour cent des ménages sondés avaient indiqué avoir une connexion à haut débit, contre 55 pour cent en mai 2008.
Cette propension à conserver ou à souscrire un abonnement à Internet, à un moment où même ceux qui ont la chance de conserver leur emploi se serrent la ceinture, révèle qu’avoir accès au Net n’est plus une frivolité et obéit à des considérations éminemment terre à terre. Le Net permet de consulter les petites annonces pour trouver un nouveau job, de téléphoner à bon compte grâce à Skype, de vider son grenier sur ou de trouver ce dont on a besoin à bas prix sur eBay ou craigslist.com. Les dollars déboursés pour que l’ordinateur domestique ait une adresse IP sont pour la plupart des ménages un investissement qui fait sens, même lorsqu’on retourne chaque cent avant de le dépenser.
Forte de cette remarquable résilience de la connectivité états-unienne, la FCC entend à présent porter le nombre de personnes disposant d’un accès au haut débit à 260 millions en 2020, soit 100 millions d’abonnement fixes – avec, il est vrai, une bande passante non pas de 3,9 Mégabytes par seconde, la moyenne actuelle, mais de 100Mb/s. Un objectif ambitieux détaillé parle président de la FCC, Julius Genachoswki, qui passe par une généralisation de l’ultra-haut débit ainsi que par une extension de l’accès à des classes sociales et à des régions géographiques restées à l’écart jusqu’à présent. Aujourd’hui, sept pour cent des adultes américains passent encore par le modem téléphonique classique pour se connecter, et 21 pour cent d’entre eux n’ont aucun accès du tout. Les ambitions affichées par Genachowski sont incontournables si les États-Unis, inventeurs du Net, ne veulent pas glisser derrière les autres pays industrialisés et les grands pays émergents en termes de pénétration – ils sont déjà en 18e position en bande passante moyenne. Les objectifs de Genachowski font partie d’un National Broadband Plan qui entend jouer sur plusieurs variables pour encourager les citoyens américains qui ne l’ont pas encore fait d’adopter le Net. Les technologies existantes permettent déjà d’atteindre les niveaux de bande passante visés, mais la FCC entend atteindre les cent millions en faisant baisser leurs prix, ce qui passe par une intensification de la concurrence entre fournisseurs. La bonne tenue du marché durant la crise augure bien, en tout cas, de son évolution jusqu’en 2020.