Twitter, la plateforme de « microblogging » qui monte, donne une nouvelle dimension à la notion d’infosphère. Alors que les blogs et les réseaux sociaux comme Facebook ont offert à chaque internaute un tremplin pour s’exprimer, partager et discuter, Twitter ajoute à cet univers bavard trois caractéristiques : la mobilité, la rapidité et l’aptitude à un papillonnage exponentiel. Les messages de 160 caractères, ou tweets, peuvent en effet être envoyés à tout moment depuis un ordinateur ou un téléphone portable, et ils sont affichés instantanément chez tous ceux qui vous « suivent ». Il est clair que dans un tel environnement, tout un chacun va se sentir enclin à sauter sans retenue du coq à l’âne, « retweetant » telle nouvelle ou telle photo, informant ses suiveurs qu’il va prendre l’avion, qu’il est triste ou joyeux, quel sandwich il s’apprête à avaler, qu’il fait beau ou qu’il pleut. Les utilisateurs s’y retrouvent, à première vue : ils s’agglutinent sur la plateforme comme les abeilles autour de la ruche, et une rumeur de tweets constituée en majorité de bavardages inconsistants constitue près de la moitiè des flux de Twitter. Mais au fur et à mesure que la plateforme s’établit, un nombre croissant d’individus et institutions l’adoptent comme fil d’alerte voire comme canal pour leurs relations publiques.
Twitter introduit dans le monde de ses utilisateurs un courant d’air bienvenu en ce qu’il permet de suivre la vie quotidienne d’un grand nombre d’« amis » et de compulser en permanence un nombre tout aussi grand de sources. Cela permet donc de multiplier les points de vue. Avec certes le risque de se disperser dans une frénésie relationnelle et informationnelle. À supposer que le mode de communication que propose Twitter se géné-ralise, on est en droit de se demander dans quel univers de gazouillis impénitents nous allons être amenés à vivre.
Car les risques de simplification et de généralisation, voire de distor-sion, inhérents à Twitter ne sont pas négligeables. Certes, tout « tweet » peut contenir un lien et l’utilisateur de Twitter peut donc en théorie s’arranger pour expliquer en détail ce qu’il veut dire sur un blog ou un site web. On peut en outre soutenir que tout rédacteur devrait pouvoir faire tenir la substantifique moelle d’un message dans 160 caractères, ce qui est plus long que la plupart des titres d’articles de journaux. Mais les exemples se multiplient, y compris parmi les utilisations professionnelles de Twitter, de tweets imprécis et simplificateurs à outrance. Sous cet angle, la rançon de la diversité des points de vue et du temps réel, les points forts de la plateforme, seraient la superficialité et le risque de désinformation qu’elle peut induire.
Une donnée intéressante à prendre en compte à cet égard est l’âge moyen des utilisateurs de la plateforme. Contrairement aux autres réseaux sociaux, ils se recrutent surtout parmi les adultes, qui avec Twitter s’offrent un aggiornamento en matière de réseaux sociaux. Ainsi, seuls onze pour cent des utilisateurs de Twitter ont entre douze et dix-sept ans, selon comScore. Les adultes sont les principaux adeptes, parce que Twitter a d’abord recruté dans des contextes professionnels et de recherche d’informations, alors que les populations les plus jeunes se sont davantage fixées sur Facebook. Même si cette tendance devait s’estomper avec l’arrivée des vedettes et de leurs jeunes fans, Twitter bénéficie a priori d’une population d’utilisateurs plus âgés et plus formés. Il n’est pas sûr, cependant, que cette caractéristique mette la plateforme à l’abri des dérives décrites plus haut. On peut même craindre qu’en se plongeant dans un océan de gazouillis incessants, ils attrapent à leur tour les travers des jeunes accros aux SMS. Conclusion : gazouillons, certes, mais gazouillons avec précision !