Déclenché la semaine dernière lorsque Google a annoncé qu’il allait cesser de censurer ses résultats de recherche en Chine, le bras de fer opposant la Chine au moteur de recherche et géant de l’Internet s’est amplifié et compliqué au fil des jours. Comment y voir clair dans cette affaire de poker menteur planétaire ?
Commençons par les faits les plus marquants. Google a justifié sa décision par des attaques menées contre ses infrastructures émanant de Chine. L’attaque est « hautement sophistiquée et ciblée ». De qui en Chine provient-elle ? Sur son blog, Google ne nomme pas directement le gouvernement chinois, mais ne laisse guère de doute sur le fait que dans son esprit, ce sont les autorités qui sont derrière ces actions contre des comptes de messagerie de dissidents. Une vingtaine d’autres sociétés de technologie auraient été visées, selon Google, voire une trentaine selon les experts de Verisign. Les explications les plus folles continuent de circuler. Il est même suggéré que les attaques auraient été menées depuis les bureaux chinois de Google. Mais l’hypothèse la plus vraisemblable est, si l’on en croit VeriSign, qu’elles ont été perpétrées par « des acteurs opérant au profit de ou directement employés par des agences officielles de renseignement de la République populaire de Chine ».
Cette vague d’attaques n’est pas la première, mais plutôt la goutte qui aurait fait déborder le vase. Google, qui semble soudain se souvenir de sa devise « do no evil », se dit donc prêt à quitter la Chine, les emblématiques recherches sur le mot-clé Tienanmen donnent à nouveau des résultats sur google.cn. Pékin répond que la loi s’applique à tous, y compris à Google, et Washington semble prêt à se ranger derrière Google. Pékin répond que tous les gouvernements doivent contrôler les multinationales basées chez eux.
Google a bénéficié d’une formidable vague de sympathie de par le monde, proportionelle à la désapprobation qu’avait soulevée en 2006 la révélation que pour pouvoir poursuivre ses affaires en Chine, il avait justement accepté de passer par les fourches caudines de la censure à la pékinoise. Des journaux financiers ont cité la réaction positive de certains investisseurs à cette décision courageuse. D’autres commentateurs suggèrent que le manque à gagner n’est pas vraiment significatif pour le moteur de recherche.
Ce que cette affaire aura souligné, si besoin en était, c’est que le pouvoir politique chinois n’est en rien prêt à faire la moindre concession. Pas question de remettre en cause le bien-fondé de la censure. Le Quotidien du Peuple explique doctement que la censure est nécessaire parce que « la société chinoise est, de façon générale, moins bien préparée à être exposée à des informations que des pays développés comme les États-Unis, c’est là une réalité objective que personne ne peut nier ».
Pour faire bonne mesure, Pékin affirme par la voix de l’agence Chine Nouvelle que c’est la Chine qui est visée par d’incessantes cyber-attaques. Google doit se plier aux normes et coutumes chinoises, de même que les compagnies chinoises qui travaillent en Afrique ont dû s’adapter aux contraintes des pays hôtes, a fait valoir le porte-parole du ministre chinois du commerce.
À présent, Google et Pékin s’observent en chiens de faïence, et un départ définitif de Google de Chine au cours des prochaines semaines n’est pas exclu. Le géant du Net, qui dans plusieurs juridictions est dans le collimateur des législateurs sensibles aux arguments des éditeurs de journaux (en raison de Google News), des éditeurs de livres (en cause : Google Books), des organisations de défense des droits des internautes (en raison notamment de l’utile mais indiscret Street View de Google Maps), a-t-il flairé la bonne affaire pour se créer à bon compte un capital de sympathie ? Malgré toute la prudence qui s’impose face à de tels embrouillaminis, il semble plus probable que la société de Mountain View ait pris une décision honnête et courageuse, qui lui procurera un regain de sympathie et de confiance de la part des internautes – ceux-là mêmes qui l’ont hissé là où il se trouve, et qui en définitive ne lui coûtera pas trop cher.