« Pourquoi nous ? Pourquoi est-ce qu’on s’en prend à nous depuis mille ans et pas par exemple au Luxembourg ? » Taher Najib est adossé à la scène du Théâtre des Capucins, jeudi dernier, devant un parterre de lycéens et quelques-uns des membres du public pour une discussion après la première de sa pièce À portée de crachat mise en scène par Sophie Langevin. Cette pièce, il l’a écrite en 2002, en pleine Intifada, un an après les attentats du 11 septembre, « je l’ai écrite en trois semaines, un acte par semaine, mais j’ai mis trois années supplémentaires pour en faire une histoire universelle ». C’est Peter Brook qui introduisit la pièce en Europe, en 2007, en l’invitant aux Bouffes du Nord à Paris. Taher Najib est Palestinien, mais a un passeport israélien. Et pour complexifier les choses, il a écrit la pièce en hébreu, parce qu’il voulait que les Israéliens comprennent ce qui se passe de l’autre côté de la frontière, comment les gens y souffrent.
« Pourquoi nous ? » demande aussi le personnage sans nom de la pièce très largement autobiographique. L’acteur parle à son alter ego Zouzou, son identité qu’il cherche sans cesse : peut-être qu’ils nous bombardent parce que nous crachons tout le temps ? Parce que les journées des Palestiniens sont rythmées par les crachats – et d’imiter les différents types de crachat, le rapide, le gras, le langoureux, le dégueulasse... L’homme est au centre d’une scène spartiate : quelques projecteurs rouges autour desquels sont drapés des bandes de plastique blanches : c’est un enfermement palpable, une ambiance claustrophobe, derrière laquelle la liberté est visible mais inatteignable. Comme la mer, qu’on voit sans jamais pouvoir l’atteindre en Palestine, raconte Sophie Langevin, qui s’est rendue sur place pour être plus juste dans sa lecture du texte. C’est un Denis Jousselin mobile qu’on voit cette fois – contrairement à l’immobilité totale dans laquelle l’avait confiné la metteure en scène dans le Koltès il y a quatre ans –, un homme plein de détermination à ne jamais se laisser abattre, ne jamais abandonner, « autant mourir sur le chemin du théâtre », sous les bombes.
À portée de crachat est une pièce sur la quête d’identité : cet homme ne peut jamais l’auto-définir, ne peut pas juste être soi-même, mais on lui en octroie une : Arabe suspect la plupart du temps, surtout lorsqu’il veut embarquer sur un vol Paris-Tel Aviv le ...10 septembre 2002. Parce qu’il y a un autre nom sur son passeport que sur son billet d’avion, on lui interdit le passage, il doit refaire les papiers pour le lendemain, 11 septembre – ce qui n’est pas pour faciliter les choses. Taher Najib a une écriture toute simple, linéaire, « documentaire et directe » comme il la définit lui-même. Malgré le tragique de la situation, il ne s’interdit ni l’humour ni l’amour, avec ces belles scènes paisibles de son amour à Paris – avant de retourner dans le chaos de son pays natal. « La patrie, écrit-il, n’est rien d’autre qu’un oreiller. La question est de savoir où on le pose ».