Dobbit, un gentil bonhomme naïf et plein de bonne volonté, commence son nouveau travail de vérificateur (travail monotone et inutile) dans une usine perdue au milieu d’un désert. Il est forcé de partager sa chambre et son poste avec un certain Hanrahan, qui est non seulement méchant, mesquin et pervers, mais mettra tout en œuvre pour se débarrasser au plus vite du nouveau venu. Leur chef Merkin s’amuse à envenimer les rapports entre ses deux subalternes et les monter l’un contre l’autre, jusqu’à se faire prendre à son propre jeu.
Au fil des intrigues et mensonges, les caractères véritables se révèlent et les alliances changent. Les pions deviennent les maîtres du jeu… ou pas ? Enfermés dans leurs intrigues, leur existence devient de plus en plus monotone et malsaine. Alors que leur vie s’écroule autour d’eux, ils s’éloignent peu à peu de l’espoir de retrouver une vie heureuse un jour, loin de la prison que représentent l’usine et leur travail morose et sans perspective, mais c’est malheureusement tout ce qui leur reste.
Si le thème du mal-être et de la perte du soi dans les milieux des affaires et de l’entreprise a été traité de nombreuses fois au théâtre et dans la littérature, Sous la ceinture se distingue par des dialogues plein d’esprit et de l’humour mordant. Le triste monde vide de sens et les rebondissements ubuesques ne sont pas sans rappeler l’univers de Terry Gilliam dans son mythique film Brazil, dont on retrouve d’ailleurs plusieurs références dans la mise en scène. Les trois hommes n’existent plus que par et pour un travail monotone qu’ils n’apprécient même pas, mais pour lequel ils s’adonnent à des jeux de harcèlement et de manipulations en tous genres. Les mesquineries et mensonges des tragiques personnages sont pourtant si bien écrits et interprétés qu’il en résulte une comédie très noire et jouissive.
Jeux de pouvoir, manipulations et coups bas se suivent et s’enchainent dans des mini-scènes rythmées et percutantes. Que faire dans cet endroit sinistre sinon comploter, se disputer et lutter pour un pouvoir dérisoire ?
Jean-Marc Barthélemy joue le personnage de Dobbit (nouveau venu de nature conciliante et gentille) avec beaucoup de sensibilité et de finesse, sans pour autant en faire un personnage banal ou effacé. On ne présente plus Claude Frisoni au Luxembourg, qui interprète avec brio un chef aussi névrosé qu’ignoble, tellement embourbé dans les rôles qu’il s’amuse à jouer qu’il ne sait plus qui il est vraiment. Moins comique, mais d’autant plus marquant est le rôle de Hervé Signe (connu autant pour ses rôles au cinéma qu’au théâtre), qui est éclatant en Hanrahan. Il est inquiétant, sociopathe et cruel, sans en faire trop. Des gestes et une élocution parfaitement maitrisés laissent entrevoir un côté sensible et plus humain de Hanrahan de temps à autre.
Le jeu d’acteur excellent est à la hauteur des textes, tout comme la mise en scène sobre, mais méticuleusement étudiée et pleine de non-dits. La petite scène exiguë et grise, les plafonds bas et les lumières éblouissantes reflètent l’impression d’étouffement et d’enfermement ressenti par les personnages de la pièce.
Le seul bémol pourrait-être la durée de la pièce (1h50), mais on ne peut que d’autant plus saluer le talent des acteurs qui ne laissent pas l’intrigue s’essouffler et maintiennent le spectateur captivé jusqu’à la fin.