Le Premier ministre conservateur hongrois Viktor Orban a dû faire profil bas et revoir sa position de franc-tireur suite à la réaction de la Commission européenne vis-à-vis de nouvelles dispositions législatives jugées liberticides entrées en vigueur en début d’année dans le cadre de la réforme constitutionnelle.
Bien qu’ayant tardé à venir le couperet est tombé une première fois, le 17 janvier, par le déclenchement de trois procédures d’infraction accélérées contre Budapest concernant l’indépendance de la Banque centrale, du pouvoir judiciaire et de l’autorité de contrôle des données. Puis le 24 janvier, un nouveau camouflet a été adressé au gouvernement hongrois par l’UE, qui a été sanctionné pour déficit excessif, ce qui va aggraver la situation budgétaire du pays au bord de l’asphyxie.
Les trois lettres de mise en demeure, première étape de la procédure d’infraction laissent un mois – contre deux selon la procédure habituelle – au gouvernement hongrois pour mettre ces législations en conformité avec le droit de l’UE.
La première concerne la nouvelle loi relative à la Banque centrale (Magyar Nemzeti Bank). Selon les modifications constitutionnelles votées en décembre, l’indépendance de celle-ci serait menacée. Une première loi en effet permet au gouvernement d’augmenter le nombre de membres au conseil des gouverneurs de la Banque centrale de Hongrie, et potentiellement d’y nommer des proches. Une seconde prévoit la fusion entre l’autorité de surveillance des marchés financiers et la banque centrale, reléguant son président Andras Simor, opposant notoire à la politique de Viktor Orban, au rang de vice-président de la nouvelle institution, sous les ordres d’un président nommé directement par le gouvernement. Or, de tels procédés sont contraires au principe inscrit dans le traité de Maastricht de l’indépendance des banques centrales.
La seconde missive met en demeure le gouvernement hongrois sur le respect de l’indépendance judiciaire. Dans le collimateur tout d’abord, la modification de l’âge de la retraite des juges et des procureurs qui passe de 70 à 62 ans, jugée par la Commission comme une différence de traitement entre les juges et les procureurs et d’autres groupes incompatible avec les règles communautaires. D’autant, souligne l’institution dans son communiqué, que la tendance en Europe est plutôt d’augmenter et non de diminuer l’âge de la retraite. Viennent ensuite des interrogations quant à la nouvelle législation sur l’organisation des tribunaux : quid des nouveaux pouvoirs conférés au président de la nouvelle administration judiciaire (gestion opérationnelle des tribunaux, ressources humaines, budget et l’attribution des affaires) ? L’exécutif européen, qui déplore la concentration des pouvoirs, s’inquiète notamment de la disparition de prise de décision collégiale concernant la gestion opérationnelle des tribunaux.
Enfin, dans sa procédure de mise en demeure sur la législation portant sur la création d’une nouvelle agence nationale pour la protection des données, la Commission remet en cause le fait que le Premier ministre se voit attribuer le droit de licencier le nouveau contrôleur de façon arbitraire. Mesure qui ne garantit pas l’indépendance des contrôleurs de la protection des données, prévue dans le Traité de l’U, la Charte des droits fondamentaux et dans la directive sur la protection des données.
La mise en cause de l’indépendance des medias constitue aussi une source de préoccupation de l’UE et ce depuis 2010, date de l’adoption d’une loi très controversée. Malgré les avertissements, le gouvernement hongrois a peu amendé ces dispositions qui mettent les médias publics directement sous la tutelle directe du parti du Ministre-Président. Près de six cents journalistes et techniciens réputés hostiles au Fidesz ont été licenciés. Plus récemment, plusieurs radios se sont vues retirer leur licence par le Conseil des médias (NMHH), l’autorité de tutelle qui chapeaute tous les organes d’information en Hongrie selon un processus totalement opaque. La principale radio d’opposition Klubradio en a été victime. Sur ce terrain, l’UE prétend avoir moins de marge de manœuvre et certains déplorent le fait qu’elle se soit contenter d’envoyer le 18 janvier, une « simple » lettre au vice-Premier ministre chargé de l’Administration publique et de la Justice, Tibor Navracsics, rappelant que le respect du pluralisme des médias « ne concerne pas uniquement l’application techniquement correcte du droit de l’UE et national mais aussi et surtout, la mise en œuvre et la promotion de ces principes fondamentaux dans la pratique ». Si les textes européens empêchent la Commission de se prononcer sur le nombre de licences accordées, la directive « autorisation » (2002/20/CE), modifiée en 2009 (2009/140/CE), prévoit qu’un gouvernement est libre d’établir des conditions d’intérêt général lorsqu’il octroie des licences si « ces droits d’utilisation sont octroyés par le biais de procédures ouvertes, transparentes et non discriminatoires ». Aussi, pourrait-elle agir juridiquement s’il était avéré que le processus d’attribution des licences ne respecte pas ces conditions.
Le 19 janvier, devant le Parlement européen réuni en plénière à Strasbourg, Viktor Orban a fait profil bas assurant que les problèmes d’indépendance de la banque nationale, du judiciaire et de l’autorité de protection des données pouvaient se résoudre « facilement » et « rapidement », reléguant au rang de simples détails techniques les problèmes mis en exergue par l’exécutif européen. Son président José Manuel Barroso a enfoncé le clou : « Au-delà des aspects juridiques, certaines préoccupations ont été exprimées concernant la qualité de la démocratie en Hongrie, sa culture politique, les relations entre le gouvernement et l’opposition, et entre l’État et la société civile », a-t-il déclaré. Il a lancé un appel fort aux autorités hongroises pour qu’elles respectent « les principes mêmes de la démocratie et de la liberté ».
Et le chef de file des députés libéraux Guy Verhofstadt (Belgique) de continuer : « Le cas de la Hongrie ne se limite pas à des violations techniques de la législation européenne, mais il présente un risque plus vaste d’érosion graduelle mais constante des valeurs de l’UE ». Le leader des Verts Daniel Cohn-Bendit a lui accusé Viktor Orban d’aller « dans la direction » des dirigeants vénézuélien Hugo Chavez et cubain Fidel Castro et de « tous les régimes totalitaires ». Le Hongrois Lajo Bokros (ECR) a dénoncé le tapis de bombes contre l’État de droit et l’équilibre des pouvoirs sous Orbán.
Le groupe du Parti Populaire européen (PPE), dont fait partie le Fidesz de Viktor Orban, était assez mal à l’aise, mais son chef, Joseph Daul, s’est dit « sûr » que le Premier ministre hongrois « prouvera que lui aussi souscrit à ces principes et à ces valeurs »de l’UE.
En visite à Bruxelles le 24 janvier, Viktor Orban a donné des gages supplémentaires en vue de calmer le jeu pour obtenir l’aide financière de l’UE et du Fonds monétaire international (FMI) et des investisseurs internationaux, aide vitale pour redresser le déficit public pour l’instant à la limite de la barre des trois pour cent PIB, maximum toléré au niveau européen. Cette aide est estimée entre 15 et 20 milliards d’euros cette année pour faire face aux échéances.
Le chef du gouvernement hongrois a présenté à José manuel Barroso un calendrier des modifications requises par son institution, condition sine qua non pour la reprise des négociations avec le FMI.
Mais ses efforts ont été vains, car au même moment, les ministres des Finances de l’UE, réunis en Conseil des affaires économiques et financières ont donné leur aval à des sanctions inédites pour déficit excessif contre son pays. Ils ont en effet approuvé une recommandation en ce sens de la Commission qui estime que la Hongrie n’avait pas fait le nécessaire pour corriger son déficit public qui, s’il était en 2011 certes techniquement inférieur aux trois pour cent, a été calculé à partir d’éléments exceptionnels.
Un coup dur pour le leader du Fidesz qui se voit ainsi présenter la facture de son bras de fer avec l’UE. Celle-ci pourrait décréter le gel de subventions européennes, notamment celles des fonds de cohésion. Mais Budapest a « amplement le temps » de prendre les mesures budgétaires adéquates, a tempéré le commissaire chargé des Affaires économiques, Olli Rehn, ces suspensions pourraient n’intervenir qu’« à partir de janvier prochain ».