Inventée en France en 1954 et adoptée depuis par plus de 120 pays dans le monde, la TVA fait toujours l’objet d’un vif débat dans son pays d’origine. Ainsi, parmi les mesures pour l’emploi que le président Nicolas Sarkozy s’apprête à annoncer le 29 janvier devrait logiquement figurer la très controversée TVA sociale, qui consiste à alléger les charges sociales des entreprises contre une augmentation du taux normal de TVA, actuellement fixé à 19,6 pour cent.
En France, où le système de protection sociale est généreux, les cotisations patronales ont atteint un niveau insupportable, environ 40 pour cent du salaire brut, grevant la compétitivité des entreprises et décourageant l’embauche. Leur réduction devient impérative, mais doit forcément être compensée par la hausse d’autres cotisations, taxes ou impôts. D’où l’idée, déjà ancienne, de relever le principal taux de TVA.
Les experts tablent sur un nouveau taux de 21 ou 22 pour cent, ce qui mettrait la France au niveau de la Belgique (21), et la ferait passer au-dessus du Royaume-Uni et de l’Italie (20), au-dessus également du taux moyen de TVA en Europe (20,73). Cette mesure, déjà appliquée dans plusieurs pays européens, soulève une levée de boucliers dans les partis de gauche, les syndicats et dans l’opinion. Coup sur coup, trois sondages parus début janvier (CSA, IFOP et BVA) montrent qu’entre 55 et 64 pour cent des répondants sont contre. La mesure ne trouve grâce qu’auprès des travailleurs indépendants et des chefs d’entreprise et parmi les plus âgés. Le clivage politique est extrêmement fort : 73 pour cent d’opposants à gauche, 72 de partisans à droite, selon BVA.
Pourtant, un nombre significatif de députés de la majorité de droite sont très réservés. Ils gardent un mauvais souvenir de ce thème, qui, venu sur le tapis entre les deux tours des législatives de juin 2007, avait remué l’opinion et coûté plusieurs dizaines de sièges à l’UMP.
Il semble pourtant que l’opposition à la TVA sociale relève plutôt du symbolique : la TVA a mauvaise presse, c’est un impôt considéré comme injuste car frappant indifféremment les plus modestes et les personnes aisées. Le relèvement, début janvier, du taux réduit de TVA de 5,5 à 7 pour cent, a déjà eu du mal à passer. Dans le cas précis de la TVA sociale, il s’agit en plus d’augmenter le taux de la taxe pour financer l’allègement de charges des entreprises , ce qui est assimilé à un cadeau au patronat.
Pourtant dans son mécanisme, le dispositif ne présente a priori que des avantages. Il n’a pas d’incidence sur les prix. Actuellement, un produit, dont le prix de revient est de 100, est vendu 119,60 au consommateur final. Avec la réduction des charges patronales, son prix hors taxes pourrait par exemple tomber à 95. En y appliquant une TVA de 25 pour cent, (taux maximum possible selon la réglementation communautaire), le prix de vente serait de 118,75 euros, soit inférieur de 85 centimes !
La baisse du coût du travail induite par la TVA sociale en fait un outil utile pour la politique économique.Les entreprises qui bénéficient d’une baisse de leurs charges sont plus compétitives aussi bien sur le marché intérieur qu’à l’exportation. Inversement les produits importés seront moins intéressants, et ils participeront davantage au financement de la protection sociale française.
D’autre part, un dispositif consistant à transférer le coût d’une partie de la protection sociale sur la consommation paraît logique, car tout le monde consomme. Si les risques de chômage et de vieillesse peuvent continuer à être financés par des cotisations assises sur le facteur travail, les risques « santé et famille », qui relèvent de la solidarité nationale, peuvent être légitimement financés par un impôt payé par tous.
Encore faut-il que les entreprises jouent le jeu, et n’en profitent pas pour augmenter leurs marges. L’expérience de l’Allemagne où la TVA sociale a été lancée en 2007 et où elle n’avait généré qu’une hausse des prix supplémentaire de l’ordre de 0,8 point est encourageante. Mais c’était avant la crise, et en France les exemples d’allègement de charges ou de taxes accordés à divers secteurs (comme la restauration) ne portent pas à l’optimisme.
D’autre part, il existe une alternative, sur le plan technique. En effet, il serait possible de faire porter les allègements de charges sur les cotisations versées par les salariés. C’est cette option, également appelée TVA emploi, qui avait la préférence de l’organisation patronale le Medef.
Des travaux réalisés dès 2007 par l’école de management Edhec, basée à Lille, Paris et Nice, apportent de l’eau à son moulin. L’Edhec considère qu’aujourd’hui il est préférable de diminuer les cotisations des employés plutôt que celles des employeurs. Leur baisse se traduirait en effet par une augmentation de la rémunération nette perçue par les salariés, qui bénéficieraient d’un gain de pouvoir d’achat malgré la hausse de la TVA, car cette dernière a une assiette beaucoup plus large. Cette mesure serait aussi une incitation significative à revenir sur le marché du travail et jouerait le rôle d’une prime pour l’emploi. Elle serait particulièrement bienvenue dans la conjoncture actuelle, car elle est favorable à la consommation des ménages, dernier soutien de la maigre croissance qui subsiste.
Dans un exercice de simulation macro-économique, l’Edhec a montré qu’un basculement de 25 milliards des cotisations sociales des salariés vers la TVA (ce qui nécessite tout de même une hausse de cinq points environ de son taux) était susceptible d’augmenter le PIB de 0,4 pour cent et de créer 114 000 emplois. Pour l’Edhec, dans la situation économique actuelle, une TVA sociale venant se substituer à des cotisations « employeurs » semble être un pari plus risqué. Dans ce cas de figure, la hausse des prix de détail TTC serait instantanée, car la restauration des marges est aujourd’hui une priorité pour les entreprises. Elles ne répercuteraient la baisse du coût du travail que de façon hypothétique et de toute manière très progressive et sans doute partielle. Les salaires étant désormais à la remorque des prix, la ponction sur le pouvoir d’achat des ménages et l’impact négatif sur l’activité qui en résulte sont très vraisemblables, alors que les bénéfices en termes de compétitivité, de balance commerciale et de réduction des délocalisations (un des objectifs poursuivis) demeurent lointains.
Pour ces mêmes raisons, le déficit budgétaire sera aggravé à court terme, alors que la mesure préconisée par l’Edhec, en stimulant l’activité et les rentrées fiscales, minore ce risque, ce à quoi les marchés financiers ne sont pas insensibles.
En revanche, d’autres experts craignent qu’en augmentant les salaires, toutes choses égales par ailleurs, les impôts directs vont aussi s’accroître et certaines personnes qui ne sont pas imposables pourraient le devenir, grignotant finalement les gains pour les salariés. Ils imaginent un possible panachage, qui passerait mieux auprès des consommateurs bien qu’étant plus compliqué à mettre en œuvre, mais il ne semble pas être dans les projets du gouvernement.
Comme souvent au cours des dernières années, on voit s’opposer ici une politique d’offre (la TVA sociale) et une politique de demande (la TVA emploi). Le seul consensus actuellement concerne le timing. Le président français veut aller vite, à la fois pour prouver son volontarisme réformateur et pour créer une situation irréversible au cas où il ne serait pas réélu.
Mais même les plus chauds partisans de la TVA sociale plaident pour un étalement dans le temps. Sa mise en œuvre précipitée, à moins de trois mois d’échéances électorales, peut s’avérer risqué politiquement et socialement, d’autant que la conjoncture déprimée se prête peu à l’instauration de ce type de mesure, plus facile à faire passer quand l’activité est porteuse (comme ce fut le cas en Allemagne). Beaucoup de pédagogie et d’explications sont nécessaires, comme l’ont fait avec succès les pays scandinaves où, malgré une TVA élevée de 25 pour cent, l’acceptation de l’impôt par les citoyens est remarquable. Question de culture aussi, sans doute.