Hypothèse pas si improbable : d’ici la mi-septembre, quelque 5 000 personnes pourraient revenir de vacances avec des symptômes de grippe A (H1N1). Au Laboratoire national de santé, les équipements et le personnel suffisent pour faire une cinquantaine d’analyses par jour ; avec l’aide du Centre national de recherche public-Santé, on peut atteindre les 200 analyses. Chaque résultat positif étant soumis à deux contre-analyses, une en interne et une deuxième dans un laboratoire spécialisé à Londres, on imagine la somme de travail qui pourrait attendre le LNS. Mais personne ne sait vraiment à quelle envergure – et, pour le LNS, quelle charge de travail – il faut s’attendre. Si des budgets extraordinaires sont disponibles pour de tels cas auprès de la Direction de la santé du ministère, c’est surtout au niveau du personnel que les rigidités du statut d’administration d’État freinent une réaction rapide et flexible, par exemple en embauchant des spécialistes supplémentaires en CDD.
Réformes « Il est opportun d’accompagner le renouveau de l’infrastructure et des locaux du LNS à Dudelange par une redéfinition de ses activités, de ses missions, et de son cadre organisationnel, » avait écrit le ministre de la Santé, Mars di Bartolomeo (LSAP), en avril de cette année, en réponse à une question parlementaire de Martine Stein-Mergen (CSV). Et que ces travaux de réorganisation allaient être achevés d’ici le déménagement du LNS, prévu pour 2011. « Ce qui est certain, estime le directeur du laboratoire, le docteur René Scheiden, c’est que nous ne pouvons plus fonctionner comme ça ! » C’est donc avec satisfaction qu’il a lu, dans le programme gouvernemental signé fin juillet, que : « Le gouvernement poursuivra la réorganisation du Laboratoire national de santé (LNS) et la révision de la loi y relative afin d’adapter les services de cette administration aux besoins actuels et futurs du secteur, notamment en ce qui concerne le recrutement dans certaines spécialités. »
Et, dans le chapitre consacré à la Fonction publique et la création éventuelle de nouveaux établissements publics : « Au cas où les défis de modernisation et d’adaptation du Laboratoire national de santé ne [pouvaient] trouver de solution dans le cadre actuel du statut de la Fonction publique, le gouvernement transformera le Laboratoire en un établissement public. » L’urgence pour le LNS, c’est surtout d’avoir une plus grande flexibilité à l’embauche, aussi bien en ce qui concerne les carrières et les salaires que les durées des contrats.
Un projet au long cours Les premières discussions sur de nouvelles infrastructures pour le LNS, se souvient René Scheiden, remontent à 1974. En 1987 furent lancées les premières études. Le bureau de consultance logistique néerlandais Berenschot – celui qui allait aussi réaliser l’étude très contestée des besoins de la Bibliothè-que nationale à la fin des années 1990 – établit un premier programme architectural sur la base duquel fut lancé un concours international, remporté en 1999 par le bureau Thomas Van den Valentyn de Cologne – un bureau sans aucune expérience dans le domaine. À l’époque, les planifications se concentraient sur le site Kirchberg, abandonné en 2000. Suite à un marchandage politique entre le ministre de la Santé de l’époque, Carlo Wagner (DP), et le maire de Dudelange d’alors et actuel ministre de la Santé, l’implantation du LNS fut « échangée » avec celle du Rehazenter – qui, lui, a désormais déjà ouvert ses portes à Kirchberg. Pour le LNS, il fallait donc réadapter les plans pour le site de Dudelange, à côté de la collectrice du sud, puis selon les différents changements du programme architectural. Finalement, le gouvernement décida de construire le complexe en deux phases.
En décembre 2003, le Parlement adopte un premier projet de loi sur la phase 1 du projet, pour un budget total de 88 millions d’euros pour une surface de 22 000 m2, pouvant accueillir 200 personnes. Sur place, le début du chantier s’avère extrêmement difficile : infiltrations d’eau, puis mise à jour des structures d’une villa romaine lors des fouilles archéologiques. Seule l’intervention du bureau allemand Dr Heinekamp, spécialisé dans la planification d’espaces de laboratoires, a permis d’améliorer les plans d’exécution et d’accélérer les travaux. Début janvier de cette année, cinq mois avant les élections, les ministres des Travaux publics, Claude Wiseler (CSV), et de la Santé ont finalement posé la première pierre du chantier. Dans la projection la plus optimiste, un déménagement des services prévus dans la première phase serait possible fin 2011.
Deux jours avant les élections, le 5 juin, le gouvernement a finalement adopté le projet de loi pour la deuxième phase de construction du projet de Dudelange, texte déposé par le ministre des Travaux publics le 23 juillet dernier (n°6061). Il prévoit un budget de 45,125 millions d’euros pour la construction de quatre unités faisant encore une fois 10 100 m2 et pouvant accueillir une soixantaine de personnes : le Laboratoire de médecine vétérinaire (dépendant du ministère de l’Agriculture), le Service de pathologie moléculaire, la Laboratoire de radiophysique de la Division de la radioprotection et le nouvel Institut de médecine légale, à créer auprès du LNS. L’idée initiale d’y intégrer également le laboratoire de l’administration de l’Eau dans la recherche de synergies a finalement été abandonnée, puisque le gouvernement a décidé, en février 2006, de concentrer toutes les compétences dans le domaine de l’eau à Belval. Le dossier de presse remis en janvier partait d’une projection optimiste de janvier 2011 pour le début des travaux.
Encombrement Entre la rue du Laboratoire au Verlorenkost et l’avenue Gaston Diderich, les couloirs se ressemblent. La première est, avec dix autres sites éparpillés dans le quartier, containers et bâtiments délabrés récupérés, le siège du Laboratoire national de santé, responsable de tout ce qui a trait à la santé humaine. Et le deuxième lieu abrite le Laboratoire de médecine vétérinaire (LMVE), dans des espaces à l’arrière de l’administration du cadastre (laboratoire qui dispose aussi d’un container au Waldhaff). Avec ses 18 personnes occupées ici, le LMVE fait le dixième du LNS en ressources humaines. « Mais nous aussi, nous sommes un ‘laboratoire d’État’, » insiste le docteur Serge Losch, un des trois médecins-vétérinaires au LMVE (plus neuf laborantins), visiblement irrité par le fait qu’on parle sans cesse du projet « Staatslabo » (« laboratoire d’État ») à Dudelange, en oubliant leur part du projet. Au sein du LMVE, il s’occupe du suivi des plans qui concernent leur partie et a vu l’espace qui leur sera attribué rétrécir comme peau de chagrin, à actuellement encore 900 m2 (contre les 2 500 initialement prévus).
Les deux institutions sont complètement à l’étroit dans leurs bâtiments – qui aurait des doutes sur la nécessité de l’investissement à Dudelange n’a qu’à leur rendre visite : couloirs encombrés de toutes sortes d’appareils, dont la plupart ne devraient pas se trouver là, personnel à l’étroit, bâtiments peu adaptés... Le LNS ne peut même plus acquérir certains équipements, pourtant utiles, voire nécessaires pour des analyses de plus en plus spécialisées, car ne disposant pas de locaux pouvant les accueillir. Les deux laboratoires ont dû abandonner certaines analyses, faute de place ou de personnel – le LNS cherche un pathologue depuis plus de deux ans, le LMVE voudrait lui aussi relancer son département de la pathologie, qui n’est plus attribué.
Depuis les années 1990, le Laboratoire de médecine vétérinaire a ainsi dû abandonner certaines analyses bactériologiques et les envoyer à l’étranger. Or, non seulement cela revient cher, d’avoir un « laboratoire de référence » avec lequel travailler préférentiellement, mais en plus, le trajet fait perdre beaucoup de temps – qui, en cas de maladie infectieuse, peut être plus que précieux. Déjà lors de la précédente législature, l’évidence d’une nécessité urgente de construire de nouvelles infrastructures afin d’être autosuffisant dans des domaines aussi sensibles que la sécurité alimentaire ou l’épidémiosurveillance s’est imposée à la secrétaire d’État Octavie Modert (CSV).
Car le LMVE a lui aussi à gérer des urgences, comme celle de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), arrivée au Luxembourg à la fin des années 1990, début des années 2000, losrque le laboratoire public a d’abord dû avoir recours à l’aide de collègues privés et étrangers pour réaliser tous les dépistages urgents, puis un bâtiment provisoire a pu être érigé au Waldhaff et deux personnes supplémentaires engagées. Le laboratoire suit aussi des épizooties hautement contagieuses comme la fièvre aphteuse ou la peste porcine, travaux pour lesquels il disposera d’un tract de sécurité à Dudelange.
Accréditations En parallèle au projet de déménagement, les deux laboratoires sont en train de s’accréditer auprès de l’Olas (Office luxembourgeois d’accréditation et de surveillance), dépendant du ministère de l’Économie, l’institut gérant la mise aux normes ISO entre autres des laboratoires. Les critères imposés par l’Union européenne concernent aussi bien les équipements et les locaux que les méthodes utilisées pour les analyses. Ainsi, le Laboratoire de médecine vétérinaire est déjà accrédité dans son ensemble, en tant que structure, mais différentes techniques ne le sont pas encore. Au Laboratoire national de santé, deux des huit section (la chimie alimentaire et la surveillance biologique) sont déjà accréditées, alors que trois sont encore en cours de procédure. Toutefois, la mise aux normes implique également des investissements coûteux afin de pouvoir répondre aux critères, investissements pourtant peu rationnels en cette période intermédiaire. Dudelange représentera alors un véritable saut quantique en ce qui concerne les équipements.
Réformes structurelles « Ce qui est sûr, c’est que nous n’irons pas à Dudelange sans réformes structurelles, » s’exclame René Scheiden. Le statut du Laboratoire national de santé date de 1980, le ministre de la Santé Mars di Bartolomeo a affirmé dès son entrée en fonctions en 2004 qu’il voulait prendre la réforme à bras-le-corps. Car si, d’un côté, tout un marché de laboratoires privés s’est mis en place pour les analyses courantes (d’Land du 6 mars 2009), désencombrant le LNS sur ce volet, les missions de la structure étatique se sont diversifiées et complexifiées ces trente dernières années. Les derniers mois, plusieurs petites réorganisations ont déjà eu lieu, comme celle de concentrer toutes les analyses, aussi en sécurité alimentaire ou en radioprotection, au LNS, alors que la Direction de la santé du ministère regroupera désormais les activités de contrôle dans ces secteurs.
Le projet de loi sur la deuxième phase de construction à Dudelange prévoit en outre de la place pour de nouveaux départements, notamment un Institut de médecine légale, une revendication de longue date entre autres des services de police ou de la justice. Actuellement, ces examens, à l’exception des analyses toxicologiques, sont tous réalisées à l’étranger, la plupart du temps à Hombourg. Au Luxembourg, un tel département pourrait commencer avec six ou sept personnes, autour d’un médecin en charge des autopsies ainsi que du suivi des victimes de crimes. En outre y serait inclus un laboratoire de tests ADN, permettant de réaliser des « empreintes génétiques » – actuellement également toujours envoyées à l’étranger. Sans vouloir attendre la fin des travaux de la deuxième phase à Dudelange, qui pourrait se situer, dans le meilleur des cas, à l’horizon 2013-2015, le LNS va déjà préparer la mise en place (provisoire) de ces nouveaux laboratoires pour 2011, lorsque les huit autres départements déménageront à Dudelange – et libéreront autant d’espace au Verlorenkost.
Mais en attendant, le directeur du LNS accorde la plus grande priorité à la flexibilisation du cadre législatif et administratif, afin de pouvoir réagir plus rapidement et de façon plus pointue aux urgences que lui posent le monde tel qu’il va. Car finalement, personne ne sait dire combien il y aura d’analyses H1N1 à réaliser au retour des vacances et quelle épidémie déboulera demain. Et si les conséquences de la crise économique frappaient aussi le projet LNS à Dudelange et repoussaient par exemple la deuxième phase à plus tard, faute de financements ? Face à cette question, le docteur Scheiden n’a aucune patience : « C’est quand même une question de priorités ! Si les gens sont malades, ils sont malades, crise ou pas crise, et il faut les aider. C’est évident. »