Triomphe ! Prolongations ! Lorsqu’un spectacle « marche » à Paris, les colonnes Morris s’habillent de superlatifs rougeoyants, se superposant à la photo d’un couple le plus souvent assis sur un canapé au milieu d’un ersatz de salon. Crée début 2016, la pièce L’envers du décor, écrite par Florian Zeller et mise en scène par Daniel Auteuil, est restée des mois à l’affiche du théâtre de Paris, malgré une presse mitigée. Mais les grands boulevards en ont vu d’autres et Auteuil avait d’autres ambitions : transformer l’essai au cinéma. Rebaptisée Amoureux de ma femme, l’intrigue ne change pas et à nouveau, Auteuil se glisse dans la peau de Daniel, marié à Isabelle (Sandrine Kiberlain), qui retrouve son ami Patrick (Gérard Depardieu), persona non grata depuis qu’il a quitté Laurence, la meilleure amie d’Isabelle. Les deux hommes organisent pourtant un dîner chez Daniel afin que Patrick puisse leur présenter Emma (Adriana Ugarte), sa nouvelle compagne. Alors qu’Isabelle rumine sa rancœur, son mari va chavirer pour la compagne de son ami.
Variations autour d’un fantasme : Daniel navigue entre échappées avec la belle et la réalité du dîner. Si au théâtre, la pièce se noyait sous les apartés, le film tisse son intrigue minuscule sur la perception du spectateur. La jeune femme se déshabille-t-elle pour de vrai ? S’envole-t-il vraiment pour Venise avec Emma ? Et vite : Qu’est ce que ça peut bien nous faire ? Un vaudeville écrit à la va-vite par un dramaturge très demandé pour un comédien en manque de planches mérite-t-il une adaptation au cinéma ? De quel cinéma parle-t-on ici ? D’un sitcom théâtral. La grammaire cinématographique se cantonne à des plans fixes, des contre-champs peu inspirés et des plans larges soulignant les défauts de rythme. L’appartement en carton-pâte ne désigne pas seulement l’opulence dans laquelle vivent les personnages, il crie aussi cour et jardin et reprend toutes les conventions désuètes du boulevard, comme les regards appuyés qu’on dit invisibles et une gestuelle clownesque pour que les sièges du fond comprennent aussi. En extérieur aussi, où Auteuil se fait visiblement plaisir, on assèche les clichés jusqu’à en désincarner le sens : le plaisir et le désir se diluent dans le manque d’inspiration. Si le réalisateur nous épargne les apartés, le mécanisme des allers-retours entre les fantasmes du quinquagénaire et la trame de fond ronronne vite et se suffit à elle-même, oubliant toute profondeur entre le champagne de l’apéro et les asperges de l’entrée. La mousseline de pommes de terre de madame récoltera les honneurs et les choux au chocolat de monsieur pour le dessert seront l’occasion d’une farce dramatique, n’oublions pas qu’il s’agit d’un film français et qu’il est donc très important de connaître le menu du dîner des personnages.
La légèreté confinant à l’abêtissement est pardonnable : le malaise suscité par le sexisme primaire de ce film l’est beaucoup moins. En 2018, on peut donc encore montrer un homme qui se comporte comme le loup de Tex Avery dès qu’il voit une femme en robe rouge et le suivre dans ses considérations de café du commerce sur le démon de midi. Plantureuse et exotique, la jeune femme n’est que fonctionnelle, agit par rapport à ces hommes toutes langues dehors et n’apparaît que comme un danger. L’épouse, elle, est toute en hystérie et aigreur puisque l’autre personnage féminin ne peut être qu’une rivale. Et gare aux mauvaises coucheuses qui manqueraient d’humour bien sûr !
Avant de se faire cinéaste (il a réalisé, avec plus ou moins d’adresse, trois adaptations de Marcel Pagnol), Daniel Auteuil a fait carrière dans la comédie, mais aussi le thriller et s’est aussi démarqué avec des rôles plus nourris, notamment pour André Téchiné (Les voleurs, 1996) ou Nicole Garcia (L’adversaire, 2002), plaçant haut l’art de jouer et de déployer la force du personnage au service d’une véritable histoire. Il est donc d’autant plus consternant de le regarder mettre en scène des figures de papier au service d’une idéologie réactionnaire et se satisfaire de ce manque d’exigence.