Après une année 2016 un peu décevante, les chiffres de l’assurance luxembourgeoise sont re-
partis à la hausse en 2017 et l’avenir s’annonce sous d’heureux auspices pour ce pilier de la place financière dans le contexte post-Brexit. Une réussite qui fait des jaloux.
Début février 2017, le communiqué trimestriel publié par le Commissariat aux assurances (CAA) faisait état d’un « exercice 2016 en demi-teinte » avec une légère baisse des primes imputable au recul des encaissements en assurance-vie. Le document publié début mai était du même tonneau, évoquant « un exercice 2016 indécis au cours de ses trois premiers trimestres et même en recul important en fin d’année ».
Mais le rapport annuel du CAA paru le 13 juillet est d’une autre tonalité. Non sans emphase, il indique que « l’exercice 2016 occupera à coup sûr une place particulière dans l’histoire de l’assurance luxembourgeoise et européenne qu’il marquera pour longtemps ».
Pourquoi ce changement ? La première raison est d’ordre technique. Les chiffres définitifs concernant l’assurance-vie et l’assurance non-vie (risques liés aux véhicules et aux habitations, responsabilité civile) se sont révélés plus favorables que ceux publiés en février, de sorte que le total des primes a finalement crû de 1,9 pour cent. D’autre part, les données ne prenaient pas en compte la réassurance, une activité importante (plus de 200 sociétés, 1 200 salariés) qui a elle aussi légèrement progressé. Finalement le CAA se déclare satisfait, car « si globalement l’encaissement des assureurs vie et non vie n’a pas connu de croissance importante, la somme des bilans a connu un développement satisfaisant et les bénéfices ont crû de près de 46 pour cent ».
Au Luxembourg l’assurance pèse lourd, eu égard à la taille du pays. Le secteur, qui compte quelque 300 sociétés (un chiffre en baisse régulière), occupe 3 900 salariés en équivalent temps plein au Grand-Duché et 2 700 à l’étranger, hors courtiers. Le montant des primes collectées (34,7 milliards d’euros en 2016) représente les deux tiers du PIB, un record en la matière (la proportion n’est que de onze pour cent en France et de treize pour cent au Royaume-Uni). Les bilans pèsent quatre fois le PIB grand-ducal.
La raison est que, toutes branches confondues, 91 pour cent des encaissements proviennent de l’étranger. En assurance-vie les Français sont les principaux contributeurs (près de trente pour cent) tandis que les Belges, dont la part ne cesse de décroître (quinze pour cent) se trouvent désormais talonnés par les Allemands.
Mais contrairement à une idée reçue, l’assurance-vie n’occupe pas une place écrasante : elle ne représente que 12,5 pour cent des profits avant impôts, 37 pour cent des emplois et 62 pour cent des primes (pas plus qu’en France). Mais elle pèse plus des trois-quarts des bilans (173 milliards d’euros) et se situe, selon une étude de Swiss Re, au dixième rang européen et au 21e mondial en termes de primes. La branche est très concentrée, avec cinq acteurs contrôlant plus de la moitié du marché, et cinq autres environ trente pour cent.
Une autre raison de satisfaction du CAA tient à la bonne application du nouveau régime prudentiel « Solvabilité 2 » entré en vigueur le 1er janvier 2016. Les compagnies luxembourgeoises s’y préparaient depuis 2009 et la transposition des textes communautaires en droit local a été réalisée par la loi du 7 décembre 2015 et par un règlement du CAA daté du même jour.
En juin dernier, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) avait publié des chiffres montrant qu’au Luxembourg les entreprises concernées respectaient largement les contraintes réglementaires (d’Land du 30 juin). Des résultats confirmés dans le rapport annuel du CAA. Le ratio de solvabilité SCR, qui doit être au minimum de cent pour cent, s’élevait fin 2016 à 178 pour cent en assurance-vie, à 208 pour cent en non-vie et à 241 pour cent en réassurance.
Mais pour le CAA le meilleur reste à venir. Car l’année 2016 aura été celle du vote des Britanniques en faveur du Brexit, « une décision lourde de conséquences pour l’assurance européenne, avec des retombées importantes » pour la place du Luxembourg. Les assureurs et réassureurs établis au Royaume-Uni perdront leur passeport communautaire et devront relocaliser tout ou partie de leurs activités s’ils veulent continuer à travailler sur le territoire de l’UE.
Pour le CAA il ne fait aucun doute que le Grand-Duché constituera une terre d’accueil privilégiée « avec ses assureurs résolument tournés vers l’international, l’expérience y relative accumulée depuis des décennies, une législation en pointe et un contrôle constituant un mélange judicieux de rigueur, de flexibilité et de pragmatisme ». À la mi-juillet, un grand groupe d’assurance avait déjà obtenu un agrément, deux autres demandes étaient en cours d’instruction et trois sociétés avaient annoncé leur intention d’en déposer. Cette stratégie « pourrait rapidement se traduire par un doublement de l’activité non vie » peut-on lire dans le rapport.
Des ambitions qui contrarient celles d’autres places financières, comme Paris, qui cherchent elles aussi à capter les relocalisations potentielles de l’après Brexit. Les Français visent, entre autres, l’assurance-vie, où ils occupent déjà une place de choix : plus de 1 700 milliards d’euros d’encours et 38 pour cent du patrimoine financier des ménages. Mais aussi bien les grands assureurs que la clientèle aisée y sont de plus en plus tentés… par le Luxembourg.
Un rapport d’information du Sénat français publié le 7 juin dernier déplorait ainsi la « très forte hausse » des primes versées au Grand-Duché par des Français, devenus depuis 2010 les premiers clients de l’assurance-vie luxembourgeoise. Tout en reconnaissant que le montant des primes (évalué à sept milliards d’euros en 2015 contre 1,5 en 2004) reste « néanmoins limité par rapport à la taille du marché français » (qui est de 141 milliards d’euros), les auteurs observent que « quatre des six premiers assureurs-vie luxembourgeois sont ainsi des filiales de groupes français, sans que cela ne puisse être justifié par la nécessité de se rapprocher des clients locaux », le marché domestique luxembourgeois s’élevant à seulement 1,3 milliard d’euros.
Pour les épargnants français, les contrats d’assurance-vie luxembourgeois, malgré un ticket d’entrée élevé, présentent de nombreux avantages juridiques et financiers. Mais en les souscrivant ils échappent aussi à l’instabilité fiscale qui frappe depuis plusieurs décennies leur placement favori. À l’opposé, le Luxembourg, connu pour sa stabilité fiscale qui bénéficie aussi bien aux professionnels qu’aux clients, en a fait « un véritable argument de promotion pour se démarquer de ses concurrents » selon le Sénat français, qui note la qualité du travail effectué par « l’agence de développement de la place financière Luxembourg for finance, partenariat public-privé entre le gouvernement luxembourgeois et la fédération des professionnels du secteur ». Des efforts qui ont déjà porté leurs fruits dans d’autres domaines que l’assurance, comme celui des OPC.
Curieusement, parmi les quatorze recommandations faites par le Sénat français pour renforcer l’attractivité de la place de Paris, aucune ne mentionne la nécessité de procurer tant aux sociétés qu’aux épargnants un cadre fiscal stable, comme si en France une telle préconisation était hors de portée. En revanche, la recommandation numéro 11 mérite attention : il s’agit rien de moins que de « moderniser le code des assurances afin de lever les freins à l’attractivité de l’assurance-vie française et de garantir des conditions de concurrence équitables au niveau européen ».
Le rapport considère en effet que le droit applicable est « caractérisé par de multiples incohérences et rigidités » avec comme résultat que les cotisations d’assurance-vie des Français fortunés prennent toujours davantage le chemin du Luxembourg. Parmi les pistes envisagées figure par exemple l’élargissement de la palette des actifs sur lesquels il est possible d’investir, avec comme au Luxembourg une liste de supports éligibles variant selon le niveau du patrimoine et de la prime versée. Par ailleurs, la Cour de cassation a récemment validé, contre l’avis des régulateurs, la proposition par un assureur luxembourgeois opérant en France sous le régime de la LPS, de contrats autorisant le versement de primes par apport de titres sur des fonds dédiés fermés, alors que le droit français autorise seulement le règlement en numéraire. Bien évidemment les assureurs français comptent s’appuyer sur cet arrêt pour réclamer le même avantage.
Toutefois il est improbable que l’on aille plus loin, du moins à court terme, et les contrats d’assurance-vie luxembourgeois conserveront pendant encore longtemps un avantage comparatif important aux yeux des souscripteurs français, mais aussi des autres épargnants européens.