« Indépendamment du site d'implantation, une nouvelle procédure d'adjudication s'impose pour des raisons juridiques » - a priori, la conclusion du conseil des ministres, vendredi dernier, au sujet du Centre national de rééducation fonctionnelle et de réadaptation (Rehazenter) ne surprenait guère. Les avis juridiques ainsi que les impératifs politiques (voir l'article « Panique à bord » dans d'Land n° 51/00 et sur www.land.lu) ne laissaient guère d'autre choix. Seulement fallait-il construire un artifice juridico-administratif qui tienne la route politiquement.
L'adjudication
Elle était, selon un commentaire du ministère des Travaux publics, « viciée ab initio » parce qu'elle prévoyait un marché négocié pour la réalisation du Rehazenter à Dudelange. Cet élément était vite devenu le refrain favori du parti libéral pour dévier l'attention du fait que la transposition, jugée initialement réalisable sans problèmes majeurs, du projet « Rehazenter Frankelach » vers un autre site au Kirchberg était de fait impossible. L'asbl Rehazenter - association qui regroupe tous les hôpitaux luxembourgeois et la Fondation Kräizbierg, adjudicatrice du marché du Rehazenter et appelée à exploiter ce dernier après sa réalisation - a violemment rejeté tout reproche d'avoir commis une illégalité lors de l'adjudication initiale. Le ministre de la Santé, Carlo Wagner, a demandé à un juriste de présenter un avis juridique pour tirer l'affaire au clair. Cet avis, qui devrait non seulement rendre compte des vices supposés ayant eu lieu dans le cadre du marché public visant le Frankelach, mais aussi déterminer la façon de procéder pour réaliser le projet au Kirchberg, est attendu pour la mi-janvier. Le ministre s'était refusé à tout commentaire, voire prise de décision avant d'être en possession de cette analyse juridique. Or, vendredi dernier, le gouvernement a pris les devants et décidé une nouvelle procédure d'adjudication. En même temps, il a reconfirmé « sa volonté de confier à l'asbl Rehazenter la réalisation du centre ».
Le maître d'oeuvre
L'État finance le Rehazenter (le projet est estimé à quelque 1,5 milliard de francs), mais avait décidé, lors du moratoire sur le plan hospitalier, de confier sa réalisation à un établissement public. D'après ses statuts, l'asbl Rehazenter ne pouvait plus intervenir dans la réalisation du projet au Kirchberg, ces premiers visant spécifiquement le site de Dudelange. Mais, le gouvernement est revenu sur sa décision devant la déclaration de guerre à peine cachée de l'asbl qui risquait de perdre sa raison d'être : « Nous restons convaincus que la décision du site d'un Centre national incombe au gouvernement qui nous a chargé de la planification, de la réalisation et de la gestion du Centre de rééducation, nonobstant le site de ce dernier ». De peur de voir s'ouvrir un front supplémentaire sur le champ de bataille du plan hospitalier, il a été décidé de préparer « en collaboration avec l'asbl, un projet de loi portant création d'un établissement public chargé de la gestion du centre ». Bilan intermédiaire : le gouvernement confirme le site du Kirchberg au détriment du Frankelach, opte pour une nouvelle procédure d'adjudication, et confirme l'asbl Rehazenter pour réaliser le centre.
Les candidats pour la réalisation du marché
L'entreprise Perrard avait remporté, voici trois ans, le marché du Rehazenter. Depuis lors, le marché a été négocié en ce qui concerne les détails et les dispositions nécessaires ont été prises pour faire avancer le projet. C'est-à-dire que des contrats avec des sous-traitants ont été pris, une logistique a été mise sur pied, des choix stratégiques en termes d'entreprise ont été faits aussi bien par l'entreprise Perrard que par les divers associés ou sous-traitants. Par le choix de procéder à une nouvelle adjudication, les compteurs seront remis à zéro et un nouveau concours aura lieu : l'entreprise Perrard devra présenter un nouveau dossier de candidatures tenant compte des spécificités du site du Kirchberg sans être sûr de remporter le marché. Rien que cette situation, ainsi que les frais supplémentaires engagés pour présenter un nouveau dossier de candidatures devraient suffire pour déposer une action en justice et obtenir des dommages et intérêts substantiels. Si, et à cause des fortes chances d'une condamnation de l'État au cas probable que Perrard este en justice, cette entreprise se trouverait l'élue pour la réalisation du nouveau Rehazenter, les autres candidats ne seront sûrement pas en reste et essaieront, à leur tour, de dénoncer en justice un marché public vicié. Avec là aussi, étant donné l'historique politique, de fortes chances pour que l'État se retrouve condamné aux dépens.
Le choix politique
Le dossier Rehazenter peut être cité en exemple pour dénoncer le caractère presque exclusivement politique du plan hospitalier qui résulte d'une prise en compte des intérêts des différents acteurs (voir le dossier Plan hospitalier sur www.land.lu). Presque comme à l'accoutumée, une décision politique est prise concernant l'établissement ou la réalisation d'un projet, et ce n'est que par après que cette décision est adaptée aux exigences réelles et factuelles. Le choix de transposer le Rehazenter au Kirchberg est aussi politique qu'était la première décision de construire le Rehazenter à Dudelange. S'il n'y a a priori pas lieu de condamner cette pratique - les décisions politiques, si elles sont bien préparées et intégrées dans un cadre général d'intérêt public, sont nécessaires pour faire avancer les choses - le bât blesse par contre lorsque la logique commence à faire défaut respectivement lorsque le dossier dans son ensemble, comme c'est le cas pour le plan hospitalier, est préparé de façon hasardeuse. Il est effectivement difficilement explicable qu'après un moratoire d'un an, décidé pour définir rationnellement des choix politiques qui reviennent sur des décisions prises, les divers protagonistes se retrouvent tels des novices devant une ribambelle de « faits nouveaux » qui pourtant semblent élémentaires dans la prise de décision.
La farce politique
Lorsque le Premier ministre lança son « ultimatum » au ministre de la Santé, il y deux semaines, pour que ce dernier s'explique sur le dossier Rehazenter, d'aucuns prédisaient une crise gouvernementale. Entre temps, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a lui-même amadoué ses propos en se déclarant mal compris : « E Mënsch wéi ech, deen zur Radikalrethorik duerchaus fäheg ass, reagéiert awer nach ëmmer iwerrascht drop, wann en sech selwer muss erkläre loossen wat en eigentlech wollt soen (...) » (in : Journal, 28 décembre 2000). Il n'aurait rien fait d'autre que de « répercuter publiquement une décision gouvernementale ». Il n'en reste pas moins que des « explications demandées au ministre de la Santé », apparemment sollicitées par le gouvernement dans son ensemble et non pas posées en ultimatum par Juncker, il ne subsiste plus grand chose lors de l'expiration de ce drôle d'ultimatum qui n'en était pas un. En lieu et place d'explications, ce sont des décisions qui ont été prises, sans même attendre les conclusions juridiques demandées justement pour fonder les décisions à prendre. Juncker, le « fils d'ouvrier » de la circonscription électorale du Sud, n'a jamais fait de secret de son penchant pour le site du Frankelach et a magistralement réussi à faire endosser les responsabilités (et donc les fautes commises) dans le dossier Rehazenter par le partenaire de coalition actuel, le Parti démocratique, et pour ce qui est du passé par l'ancien partenaire de coalition, le Parti socialiste. Sa veste est, en apparence, blanche dans la présente affaire, et ce bien que ce fût lui qui présidait les gouvernements successifs qui se sont manoeuvrés de bourde en bourde en ce qui concerne le plan hospitalier. Sinon, reste à savoir quel marchandage politique entre le PDL et le PCS a réussi à calmer les vagues soulevées par le Premier ministre, c'est-à-dire quel concession le PDL a dû faire au PCS pour ne pas devoir perdre la face.
Conséquences
Par la décision de procéder à une nouvelle adjudication du marché du Rehazenter, ce dernier ne verra pas le jour de sitôt. Même en ayant recours à une procédure de marché restreint, il s'écoulera probablement plus d'un an avant que les pelleteuses ne commencent leur activité sur le site choisi - qui devra auparavant encore être acquis par l'État. En attendant, d'autres projets directement ou indirectement liés à la réalisation du Rehazenter et prévus par le plan hospitalier, se trouvent eux aussi retardés.
Lorsque le gouvernement décida, en 1996, de construire le Rehazenter, le projet fut décrété « prioritaire dans l'intérêt du patient », les infrastructures en ce qui concerne la rééducation fonctionnelle et la ré-adaptation étant - toujours - insuffisantes et inadaptées. Entre temps, plus de quatre ans se sont écoulés sans que le début des travaux ne soit à entrevoir. De plus, les projets successifs ont déjà englouti plus de cent millions de francs, sans qu'il n'y ait pour l'instant, un résultat palpable, un projet concret. Ces « frais sans suites » risquent de surcroît de se multiplier davantage encore, si jamais les différentes actions en justice, qui ne pourront être évitées, concluent à la condamnation de l'État.
En fin de compte, il n'y a, pour l'instant, que des perdants dans le dossier Rehazenter - et le seul niveau où jusqu'ici, le travail bâclé dans ce dossier n'ait pas connu de conséquences est le niveau politique.