Ça hume le scandale... D'abord, le ministre de la Santé, Carlo Wagner, présente une étude sur la pratique de la cholécystectomie (ablation de la vésicule biliaire), en dissertant, dans ses explications, au-delà des conclusions de l'analyse. Ce à quoi, l'association des médecins et médecins-dentistes (AMMD) crie à la diffamation de toute une profession. Réveillée, la Patiente Vertriedung cloue, à son tour, les médecins au pilori, soutenant à « deux cents pour cent » le ministre et le Centre de recherche public Santé (CRP Santé) souligne, par communiqué, le sérieux et la nature hautement scientifique de l'étude incriminée dont il est le co-auteur.
À quel saint se vouer dès lors dans ce brouhaha où tout un chacun accuse l'autre de fausser le jeu pour parvenir à son intérêt ? Le ministre, pour justifier sa politique de concentration hospitalière qui va aux dépens des « petits » hôpitaux et des médecins y exerçant, commente une étude réalisée sur la cholécystectomie en expliquant, à sa manière, les taux de mortalité et de complications observés dans l'étude.
Révoltée, l'AMMD ôte toute crédibilité à l'étude en déclarant que l'approche et la méthodologie sont loin d'être empiriques. L'association des médecins accuse le ministre de vouloir créer un climat de défiance populaire envers les médecins exerçant dans les petits hôpitaux pour faciliter leur fermeture. Détail piquant : l'AMMD bénéficiait, lors de sa conférence de presse, du soutien du Collège médical qui est l'organe d'autorégulation de la profession. Sa présence, à côté des représentants de l'AMMD lors de la conférence de presse, va au détriment de l'impartialité et donc de la crédibilité du Collège médical - ce qui a d'ailleurs causé de profondes interrogations au sein de la profession.
Face aux attaques virulentes de l'AMMD, la Patiente Vertriedung entre alors en jeu pour soutenir le ministre dans sa « volonté d'introduire des critères objectifs de qualité » dans la pratique médicale. L'AMMD est accusée de ne pas vouloir jouer le jeu de la transparence et de faire des médecins une caste des intouchables. La Patiente Vertriedung réfute de surcroît toute contestation du caractère scientifique de l'étude et se fait relayer en ses positions par le CRP Santé. Là encore, le mélange des genres donne droit à une situation malsaine: lors de la conférence de presse de la Patiente Vertriedung, c'est Robert Kantz qui a pris la parole pour vitupérer l'AMMD. Or, Robert Kantz est aussi le directeur du CRP Santé, co-auteur de l'étude.
Les torts sont ainsi partagés, chacun ayant failli de son côté - les uns peut-être plus que les autres. Seulement, le fonds de l'affaire est trop grave pour qu'elle soit traitée de façon incendiaire et superficielle. Car l'enjeu n'est autre que la qualité de la médecine dispensée au Luxembourg et donc la sécurité et les intérêts du patient. S'il y a du vrai dans chacune des prises de position, il n'en reste pas moins que l'intention première du ministre, à savoir introduire des critères d'appréciation qualitative, risque de faire les frais de l'opération.
Après des années et des années de tergiversations et de discussions, d'arrangements et de compromis, le ministre de la Santé a récemment réussi à promulguer un nouveau plan hospitalier. Celui-ci repose sur la carte sanitaire qui constitue un premier essai pour quantifier les données quantitatives et qualitatives des hôpitaux. Cette carte sanitaire est accompagnée d'études spécifiques, dont celle sur la cholécystectomie est la première à être publiée. L'objectif principal de l'étude était, contrairement aux conclusions quelque peu hâtives du ministre, « d'évaluer l'exhaustivité et la fiabilité des banques de données de la sécurité sociale ». C'est effectivement la première fois que les données du Centre informatique de la Sécurité sociale ont été utilisées pour analyser la pratique médicale et, surtout, la première fois qu'une analyse qualitative a été réalisée.
L'étude tend, dans ses conclusions, vers la création de « centres de compétence ». Ces centres de compétence sont d'ailleurs prévus dans le plan hospitalier, et devraient être déterminés en 2003, lorsque le ministère de la Santé procédera à l'attribution des agréments pour les différents services aux établissements hospitaliers. Le regroupement des services offerts devra tourner autour d'un grand thème, d'une spécialité prise au sens large, sans oublier pour autant une base pluridisciplinaire nécessaire au bon fonctionnement de tout hôpital. Voilà pour la direction entamée par le ministère de la Santé. Ce regroupement a déjà eu lieu partiellement par le classement, par le plan hospitalier, de six établissements, contre onze auparavant, dans la catégorie « hôpital général ». De surcroît, le ministre entend favoriser les fusions et collaborations entre hôpitaux, qui jusqu'ici ont plutôt été en situation de concurrence.
Cette situation idéale nécessite cependant des préalables, dont l'évaluation qualitative de la médecine est la plus importante pour procéder à une distribution raisonnée des services médicaux. Dans ce contexte, la croisade de l'AMMD laisse interrogateur. À moins qu'elle ne s'explique par un baroud d'honneur pour cacher ses propres ratés antérieurs. Car l'AMMD, si elle était bien présente lorsqu'il s'agissait de défendre, avec une grève à la clef, sa vision de la médecine libérale, la même organisation était complètement absente du débat qui a accompagné la réalisation du plan hospitalier. Selon plusieurs directeurs d'hôpitaux, l'organisation interne et entre établissements n'a pu se faire que malgré l'AMMD. Un autre poste d'inactivité de l'AMMD est la formation continue des médecins. Celle-ci est la règle générale, voire une obligation ailleurs, mais une inconnue pour l'AMMD. Si formation continue il y a, elle est organisée en interne par les établissements hospitaliers ou grâce à l'initiative quasi-privée de médecins. Mais il n'existe de la sorte aucune ligne générale, aucun critère à ces formations. L'AMMD semble ainsi exister uniquement pour défendre « sa » vision de la médecine libérale qui est celle du médecin tout-puissant sachant tout faire et auquel personne n'a des comptes à rendre. Car l'AMMD, à voir la façon dont elle a réagi à l'étude incriminée, refuse de donner au patient la liberté de choisir son médecin ou son établissement selon des critères de qualité. Une situation qui va, pour le Dr Philippe Turk, directeur de la Clinique Sainte-Thérèse, au-delà des intérêts des patients, aussi bien à l'opposé des intérêts des médecins que ceux des établissements. Sans données qualitatives, la situation actuelle, où chaque établissement tend vers le « service médical complet », sans qu'il n'y ait de véritable coordination ou de structure, va persister.
Car l'étude, dans ses conclusions, n'a pas retenu la fermeture des petits hôpitaux, mais a mis le doigt sur des carences dans l'organisation des médecins, dans leur façon de codifier leurs actes techniques et diagnostiques - l'introduction de la classification ICD de l'Organisation mondiale de la santé, la norme internationale s'est faite sans formation adéquate des médecins qui aurait pu être imposée par le ministère ou organisée par l'AMMD. L'étude retient ainsi qu'il est nécessaire de revoir le système de classification des actes médicaux et de former les médecins en conséquence pour pouvoir utiliser l'instrument d'encodage, de détailler davantage la nomenclature des actes et services médicaux, de clarifier la notion d'association de médecins (l'anonymisation du médecin au sein d'un groupe chirurgical par exemple ne permet pas de répartir les tâches au sein d'une même association qui est cependant considéré comme un « élément influençant la qualité des prestations fournies par le biais d'une spécialisation des différents membres de l'association ») et, finalement, l'évaluation du coût global réel par patient.
Des conclusions qui, si elles sont suivies de fait, sont une ouverture vers une transparence du milieu médical découlant de l'existence de données qualitatives pour le secteur. À se demander pourquoi l'AMMD veut tuer cette initiative dans l'oeuf...