Statut du médecin

Politique, économique

d'Lëtzebuerger Land vom 08.02.2001

À cause de la grève des médecins, début novembre 2000, le gouvernement n'avait à l'époque pas voulu « prendre une décision politique qui aurait pu être interprétée comme un signe politique ». Donc, la réforme du service de nuit des médecins n'a été arrêtée en conseil de gouvernement que le 2 février 2001. Début novembre de l'année dernière, les médecins avaient observé une grève de trois jours pour protester contre ce qu'ils appellent « la mise en question du statut libéral des médecins et de la médecine libérale». L'annonce de faire participer les médecins pratiquant dans un hôpital aux investissements pour infrastructures technico-médicales au sein de ces mêmes hôpitaux avait amené l'ensemble des médecins à n'assurer qu'un service minimum pendant quelques jours (voir l'article « Risiken und Nebenwirkungen » dans d'Land n° 44/00).À la même époque, le ministre de la Santé, Carlo Wagner, avait proposé un amendement budgétaire pour réformer le service de garde des médecins qui n'était plus assuré sur l'ensemble du territoire : des 18 régions concernées, quatre, voire cinq n'étaient plus - et ne sont toujours pas - en mesure d'assurer une assistance médicale à domicile hors des horaires de consultation. Faute de combattants (parmi les 1 048 médecins enregistrés au Luxembourg, il y a 340 spécialistes dont 225 assurent un service de garde), de sécurité (le service de garde, avec visites à domicile se pratique la nuit) et de problèmes dus à la rémunération (les médecins ne touchent pas de compensation du manque à gagner après un service de nuit), mais aussi d'inégalité de répartition territoriale (les campagnes sont quelque peu désertes en cabinets médicaux), la prise en charge médicale élémentaire n'était plus accessible à l'ensemble de la population. Prévue par une loi vieille d'il y a presque vingt ans, le règlement organisant le service de nuit n'a pourtant jamais été arrêté. À l'époque, l'Association des médecins et médecins-dentistes (AMMD) avait proposé de se charger de l'organisation du service de nuit, tâche qu'elle n'a pu assurer à cause des causes énumérées.

Devant l'urgence, et le Cercle des médecins généralistes - ce sont les généralistes qui assurent le service de garde - étant demandeur à ce que le gouvernement intervienne, le ministre de la Santé avait prévu une enveloppe budgétaire de soixante millions de francs pour finaliser la réforme qui a finalement été décidée la semaine dernière : réduction du nombre de secteurs de 18 à six, ce qui donne une répartition des médecins susceptibles d'être de garde plus équilibrée, rémunération spéciale de l'ordre de 15 000 francs par nuit pour le médecin de garde et mise à disposition d'un véhicule équipé d'appareils et d'outils médicaux qui sera conduit par un chauffeur professionnel (pour ce qui est du chauffeur/accompagnateur, le gouvernement compte avoir recours à  une société de gardiennage privée). Or, à cause de la grève des médecins, les ministres des Finances et du Budget, Jean-Claude Juncker et Luc Frieden, avaient décidé de rayer l'amendement budgétaire introduit par le minstre Wagner. Pour accorder cette même enveloppe quelque trois mois plus tard... Le nouveau service de garde devrait commencer à fonctionner le 1er juillet.

Le secteur de la Santé, au Luxembourg, évolue ainsi à coup de décisions politiques : l'opportunité politique l'emporte sur la nécessité médicale et sociale. Que ce soit le retard d'une demie année en ce qui concerne la réforme du service de garde - une réforme qui est en discussion depuis 1997 -, que ce soit le constat, sur le tard, que le Luxembourg manque cruellement de lits gériatriques, que ce soit la nouvelle répartition entre hôpitaux généraux et hôpitaux de proximité, que ce soit le vaudeville de l'emplacement du Centre national de rééducation fonctionnelle et de réadaptation, que ce soient les discussions autour de la réforme du système de sécurité sociale ou encore l'annonce faite récemment par le ministre de la Santé de libéraliser le secteur des pharmacies, le constat est toujours le même : le secteur de la Santé connaît des problèmes parce que l'application des décisions, résultats de négociations, voire marchandages entre lobbies et classe politique est parfois très difficile à réaliser et à... expliquer.

Wagner a ainsi profité de la présentation des derniers amendements du plan hospitalier pour justifier pour la nième fois la réduction des lits aigus. Le désormais fameux taux de cinq lits aigus pour mille habitants ne devrait être atteint qu'en 2005, dixit le ministre. Alors que cette réduction de lits était initialement prévue de façon assez brutale, le ministère de la Santé, devant les protestations de part et d'autres et l'impopularité du projet, en a maintenant atténué l'impact.

Le nombre de lits ambulatoires et de lits post-opérationnels sera revu à la hausse pour contrebalancer le nombre restreint en lits aigus. De plus, avant de réduire le nombre de lits aigus, les 700 lits gériatriques planifiés par le ministère de la Famille devront être réalisés - ce qui entraînera aussi une baisse du taux d'occupation des hôpitaux. Et finalement, le ministre veut attendre « l'évolution et le perfectionnement de la carte sanitaire ainsi que l'évolution démographique » pour définitivement faire le point. En clair, aucun lit aigu ne devrait être supprimé d'ici 2005, année où l'on refera le compte et où le plan hospitalier arrêté par le gouvernement la semaine dernière (à consulter sur www.land.lu) devrait être réadapté. Ce que le ministre a appelé « une réduction flexible », et qui équivaut à une sortie diplomatique d'un imbroglio politique. 

Comme pour souligner que le ministre libéral n'est pas seul à décider de la politique de santé, Wagner a lourdement répété à plusieurs reprises que la réduction de lits aigus était prévue dans le programme de coalition et que cette décision était portée par le gouvernement ; et qu'il en allait de même du moratoire du plan hospitalier qui aura duré quatorze mois. Tout ça pour rappeler au PCS, qui ces derniers temps se faisait un malin plaisir à prendre ses distances du ministre de la Santé et de ses décisions, sa part de responsabilité.

Du point de vue économique, le secteur de la Santé est un marché d'avenir, surtout au Luxembourg. Une société bien portante matériellement qui devient de plus en plus âgée promet une demande de plus en plus importante d'assistance médicale et paramédicale. 

Pour répondre à ce besoin, il faut cependant des investissements de taille : les infrastructures actuelles sont soit trop âgées soit inadaptées, le retard en matière de planification est flagrant, le progrès de la médecine et des sciences y relatives énorme. La répartition de ces investissements devient ainsi la clef de voûte de la politique de Santé et explique pourquoi les décisions politiques priment sur les besoins - chacun des acteurs a autant à perdre qu'à gagner dans la situation actuelle. La concurrence entre les établissements hospitaliers devient de plus en plus accrue, et l'élément productivité économique remplace sournoisement l'idéal purement médical.

Pour l'instant encore, parce que c'est l'État qui arrête la politique de Santé et la topographie médicale et que c'est l'Union des caisses de maladie qui finance les investissements lourds dans les infrastructures, la concurrence entre les établissements joue surtout lors des négociations avec le gouvernement pour assurer sa part du gâteau. Simultanément, l'État possède de la sorte un instrument régulateur du secteur de la Santé. 

Mais pour définir leur politique en matière de Santé, les instances publiques sont confrontées à un problème de taille, que la carte sanitaire dans son état actuel n'a pas encore réussi à résoudre : il est quasiment impossible de comparer les données et statistiques entre les services, les hôpitaux etc. 

Dès lors, il est d'autant plus facile pour les parties intéressées - collectivités locales, lobbies politiques et médicales, hôpitaux..., de faire valoir leurs intérêts sans (pouvoir) prendre en compte une vision globale du secteur.

Mais à voir la très nette tendance vers une libéralisation de la médecine, et une frontière entre les assurances sociales publiques et privées qui devient de plus en plus floue, l'on peut aussi se demander si la situation actuelle, empêtrée à cause d'une absence de planification à long terme et d'un manque de prise en considération des besoins réels pendant des décennies, n'est pas le précurseur voulu d'une dissociation entre la santé publique et la santé privée. 

Après un assainissement sommaire par le plan hospitalier actuel, cette répartition sera d'autant plus facile à réaliser.

marc gerges
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