d’Lëtzebuerger Land : Vous avez exposé récemment, dans la galerie du Fëschmaart, le jeune artiste américain, Alexander Nolan. Est-ce que c’est la préfiguration, comme on l’entend dire ci et là, que la galerie Bernard Ceysson va ouvrir à New York ?
Arlette Klein : Ce ne sera bientôt plus une rumeur !
Vous avez rejoint la galerie en janvier de cette année, quel est votre rôle au sein de l’équipe ?
Je suis directrice des galeries Bernard Ceysson et nous sommes quatre : les associés, François Ceysson, Loïc Bénétière, Bernard Ceysson. Et moi. C’est François Ceysson qui est en train de finaliser le projet new-yorkais. Loïc est le plus souvent à Paris, je suis le plus souvent ici, parce que je suis Luxembourgeoise et que ma vie est ici. Mais l’activité dans une des galeries peut entraîner une synergie dans une autre, etc. Ce ne sont pas des lieux qui fonctionnent de manière séparée. Aussi nous prenons les décisions en commun.
Vous nous rappelez quand même le fil conducteur historique ?
L’activité de galeriste de Bernard Ceysson a commencé par l’amitié avec Claude Viallat, qui l’a encouragé à devenir son agent. Puis François et Loïc ont décidé qu’il fallait ouvrir une galerie. La galerie d’origine, c’est donc celle de Saint-Étienne, qui a ouvert en 2006, où, pour mémoire, Bernard Ceysson a dirigé le musée, et la deuxième a été celle de Luxembourg en 2008, où, encore pour mémoire, Ceysson avait été appelé à travailler sur la préfiguration du Mudam. C’est à cette époque que je l’ai connu et à laquelle remontent nos échanges et toutes ces années, j’ai entretenu des liens qui ont été très formateurs pour moi.
Le contexte était aussi favorable, avec l’ouverture du Musée national d’histoire et d’art dans l’îlot rénové de la Vielle ville...
Oui absolument. Ce voisinage, avec aussi l’installation de la galerie Nosbaum & Reding a créé une synergie. Je dois dire à ce propos que les chantiers actuellement du centre ville ne sont pas le meilleur des attraits… Il ne faut pas oublier que nous exerçons une activité commerciale et c’est une chance que l’on puisse venir nous trouver au Wandhaff !
Mais pour revenir aux galeries Bernard Ceysson, il y a ensuite eu l’ouverture de la galerie parisienne, voisine du Centre Pompidou et plus récemment, Genève. À Paris, où la galerie s’est installée dans l’ancien espace occupé par la galerie Nahon, comme avec Viallat, c’est une histoire d’amitié, en l’occurrence avec l’artiste Louis Cane, également du mouvement Supports/Surfaces, qui est à l’origine de cette installation. Puis – ces lieux-ci étant des endroits traditionnels d’activité galeriste, nous avons eu la grande chance de pouvoir nous installer ici, au Wandhaff. C’est comme souvent dans l’histoire de la galerie, comme je viens de vous raconter des histoires d’amitié, les opportunités qui régissent aussi le point de départ des choses. Mais il faut savoir les saisir !
Comment ça ?
C’est un de nos collectionneurs qui nous a proposé d’exposer dans une partie du hall industriel où est maintenant installée la galerie, ce qui a permis d’organiser une première exposition temporaire en 2014. La dimension convenait bien aux pièces exposées : celles de Viallat. Cela a duré dix jours seulement, entre deux baux du local et le succès a été énorme. La galerie a aussi très bien vendu et c’est alors que la deuxième partie du hall industriel s’est trouvée libre. C’est comme ça que nous avons pu nous installer dans ce lieu qui était un entrepôt de rayonnages et qui s’avère flexible et commode pour montrer de très grands formats, pour le stockage des œuvres et c’est facile d’accès pour les clients.
En effet ! Ropac et Gagosian se sont installés en banlieue parisienne…
Toutes proportions gardées ! Nous n’avons pas les milliers de mètres carrés qu’ils ont mais oui, il nous en manque quelques-uns aussi bien pour les expositions que pour le stockage… Toujours est-il que Bernard Ceysson, qui a de l’expérience en la matière puisque c’est lui qui a monté le Musée d’art moderne de Saint-Étienne, est, avec François, à l’origine de l’agencement tel qu’il est actuellement. La première exposition a eu lieu en mars 2015 avec Bernar Venet dans la première partie rénovée de l’entrepôt – les dimensions du lieu conviennent bien à celles de ses œuvres –, puis nous avons restauré la deuxième partie avec les réserves et puis la troisième qui a été inaugurée avec une exposition collective d’artistes américains.
Ces artistes américains préfigurent l’activité américaine de la galerie ?
Non, ce n’est pas comme cela que nous fonctionnons. La galerie représente un groupe d’artistes en général. Les artistes avec lesquels elle collabore peuvent exposer ainsi dans des lieux différents et pas au plan national uniquement : ainsi Robert Brandy a exposé il y a peu à Saint-Étienne où il a eu une très bonne presse et où il a bien vendu ; les artistes américains, on le disait à l’instant, viennent à Luxembourg et, expérience formidable actuellement en cours en France, ils y viennent en résidence et produisent !
Cela se fait en partenariat avec une institution publique ? La Ville de Paris ?
Non, pas du tout ! C’est une initiative privée de la galerie. Nos partenariats sont d’un autre ordre : nous avons connu nos artistes américains grâce à Wallace Whitney, et à la galerie Canada à New York avec laquelle nous avons une sorte de partenariat amical depuis quatre, cinq ans : Sarah Braman, Trudy Benson, Chris Hood, Sadie Laska, Lauren Luloff, Alexander Nolan, Wallace Whitney, auxquels vont s’agréger d’autres artistes dont nous pourrons donner les noms très bientôt. Grâce à un de nos collectionneurs qui met un atelier à leur disposition à Paris, ils peuvent travailler, recevoir des gens qui les voient travailler. Ainsi actuellement, c’est Chris Hood qui, après sa résidence, aura une exposition dans la galerie de Genève.
D’où l’intérêt d’avoir un réseau international de galeries…
Cela va même encore plus loin : Chris Hood a, durant cette résidence à Paris, terminé des œuvres pour son actuel galeriste new-yorkais. Et, à la foire de Bruxelles récemment, il a donc exposé simultanément avec cette galerie et la galerie Bernard Ceysson, ce qui crée une synergie d’un autre ordre, très favorable à l’artiste !
On pourrait aussi imaginer des résidences d’artistes à Luxembourg ?
Ce n’est pas à exclure… ou à New York, mais ce que je voudrais dire aussi, c’est que cette manière de travailler et d’exposer nos artistes est très fructueuse pour eux aussi : il y a émulation, inspiration respective. C’est une des caractéristiques de la galerie Bernard Ceysson d’avoir toujours représenté un groupe d’artistes : le groupe Supports/Surfaces. Récemment à Berlin par exemple, nous avons montré Claude Viallat, Daniel Dezeuze, André-Pierrel Arnal, Patrick Saytour, Noël Dolla, avec des artistes allemands contemporains.
C’est une manière de les maintenir dans l’actualité, ces artistes qui font déjà partie de l’histoire de l’art …
Oui… le mouvement Supports/Surfaces n’existe plus – quatre de ses représentants ont disparu maintenant, mais le lien – conscient ou inconscient – existe lui bel et bien avec la jeune génération. Lauren Luloff travaille sur la transparence des toiles, Joe Fyfe travaille avec des tissus sans cadres, l’idée de la déconstruction de l’image est un élément important de la théorie du mouvement Supports/Surfaces… Très concrètement, Joe Fyfe, Sadie Laska, Lauren Luloff, durant sa résidence à Cassis avec Alexander Nolan, l’année dernière, ont échangé des œuvres avec Claude Viallat.
Que retirez-vous de vote récente et nouvelle approche du marché allemand ?
Les foires sont des lieux de positionnement très importants. Nous sommes très contents de notre participation récente à Art Cologne. Nous avons eu un excellent contact avec la presse et nous y étions avec quatre de nos jeunes artistes américaines, arah Braman, Trudy Benson, Sadie Laska, Lauren Luloff dans la section New contemporaries. Nous verrons si cela nous permet la prochaine fois d’être présents dans la section des galeries « établies » avec Supports/Surfaces. On verra si ça marche ou pas, mais c’est très important pour positionner la galerie et c’est très important pour positionner les artistes.
Où en est un des jeunes artistes luxembourgeois que vous représentez, Roland Quetsch ?
Il est dans une phase de créativité intense ! Je l’ai déjà dit précédemment au sujet de Robert Brandy, il n’est pas question que nous limitions les artistes luxembourgeois au plan national. Le brassage est très important. Récemment, à la foire de Bruxelles, nous avons vendu deux œuvres récentes de Roland Quetsch. Début juin, nous allons avoir une grande exposition Louis Cane. Mais entre la fin de l’exposition présente, Jean Messagier et Claude Viallat, et celle-là, nous allons inaugurer ce que nous avons décidé d’appeler Interludes, qui est une manière d’exposer beaucoup plus rapide, qui sera annoncée sur les réseaux sociaux uniquement et où nous allons présenter les toutes nouvelles œuvres de Roland Quetsch. Il travaille actuellement à la déconstruction de ses grands formats que nous nous devions de montrer absolument. C’est un travail idéal pour ce nouveau type de présentation rapide qui a d’ailleurs été décidé lorsque nous avons vu ses œuvres. Cela participe d’ailleurs de la vitalité d’un lieu de passer du temps d’exposition long à quelque chose de plus rapide et de plus ramassé.
Pour rester sur un des aspects historiques du galeriste comme représentant des artistes, qu’en est-il du stock et de l’accessibilité pour les clients. Le lieu du Wandhaff joue ce rôle pour la galerie Bernard Ceysson ?
Oui, le stockage est un lieu important pour la galerie et le Wandhaff en est un. On ne vend pas tout à l’occasion d’une exposition et les gens peuvent, dans un stock, revenir sur une de leurs envies. Un autre service que propose la galerie, c’est de mettre une œuvre en situation chez un potentiel acheteur. Une œuvre fonctionne différemment suivant son environnement. Nous sommes donc beaucoup en route ! Ici, on peut dire que c’est une zone de transit pour les œuvres. Elles y sont répertoriées, elles sont munies d’un code barre… Cela fait partie de la logistique du métier de galeriste. Pour lequel d’ailleurs, quand les œuvres arrivent en caisse comme c’est par exemple le cas de celles qui viennent des États-Unis, c’est comme ouvrir une caverne d’Ali Baba !