Non, ce n'est pas cette terre chère à Eluard que nous promettent les libéraux, mais carrément le ciel qu'ils nous font miroiter dans le profond azur des yeux de Lydie qui, du haut des gigantesques affiches électorales, semble ensorceler l'électeur comme le fit naguère Circé avec Ulysse. À l'image du roi d'Ithaque, le citoyen devrait rester fidèle à la Pénélope du gouvernement («Kommt, mir maache weider!») tout en restant sourd aux sirènes des autres partis, refusant ainsi d'errer sur les mers des listes concurrentes. C'est à cette condition seulement que le Luxembourgeois pourra continuer, à l'avenir, à pousser joyeusement son caddie à travers les rayons surchargés des supermarchés. Consomme et tais-toi, en somme. Quant au petit commerce, oublié sur les affiches, il pourra toujours se tourner vers l'ADR comme naguère vers Poujade.
Mais savez-vous que, du temps des Romains, la couleur bleue était au mieux ignorée, au pire assimilée aux barbares. Ce n'est qu'à l'époque gothique que le bleu acquit ses lettres de noblesse si j'ose dire, colorant le sang des aristocrates, ornant les vêtements de la Vierge Marie, pour devenir enfin, beaucoup plus tard, la couleur mélancolique du jeune Werther. Du XIXe au XXe siècle, le bleu fut successivement la teinte des partis républicains de progrès, puis celle des centristes et des modérés, enfin celle des conservateurs. Mais avec le jean, le bleu est finalement devenu la couleur du consensus et sied donc bien au modèle luxembourgeois.
Quoi qu'il en soit, souhaitons au Parti démocratique un minimum de bleus à l'âme le soir du 13 juin, et n'oublions pas que, oh surprise, la couleur bleue est squattée ces jours-ci par «déi Lénk», dont les affiches anti-Arcelor semblent avoir endossé l'habit du bleu de travail. En bons amateurs de jazz, nos sympathiques gauchistes savent sûrement que le blues est cette fausse note qui s'invite, pour notre plus grand plaisir, au bal des voix bien élevées.
Jaune comme une orange, voilà la couleur du rire des passants quand ils découvrent avec un frisson à peine retenu les affiches du CSV. Cette chaîne surdimensionnée semble annoncer un retour vers les années de plomb d'avant 1974 où toute la société se trouva enchaînée et cadenassée dans une morale et un immobilisme d'un autre âge. Juncker voudrait-il perdre les élections pour s'envoler vers d'autres cieux, il ne s'y prendrait pas autrement. La concierge de mon psychanalyste appellerait cela un lapsus révélateur.
En vert et avec tous : voilà le nouveau slogan des écolos, dont les affiches, fort professionnelles, ont plongé dans un profond désarroi votre serviteur. Ainsi donc l'ancien parti subversif choisit désormais la ligne droite («Mir béien et riicht») allant jusqu'à redresser la poétique diagonale de la Tour de Pise. Foin des ambiances high-tech et des portraits des éléphants politiques de la concurrence, rendez-nous au plus vite les photos sépia de notre bon vieux Bausche Fräntz en jean et en vélo et avec un panaché à la main ! Sinon, gare au panachage ! Quoi ? Tout cela est du second degré ? Allons bon, le 13 juin sera donc un test de l'humour autant que de l'humeur de nos compatriotes.
Quant à la jolie frimousse de la Cindy socialiste, franchement lui confierez-vous les rênes du pays ? Oh certes, Yvan, toujours grivois, ne refuserait pas la petite aventure, loin s'en faut, mais de là à tenter la grande aventure du mariage pour le meilleur et surtout pour le pire, il y a un pas que de nombreux électeurs hésiteront peut-être à franchir. Car, qu'on se le dise, la rose ne s'effeuille pas dans le pot-au-feu.