Lauréat de la Caméra d’or au Festival de Cannes, Bouge pas, meurs, ressuscite est le premier long-métrage de Vitali Kanevski. Celui-ci a 50 ans, en 1989, lorsqu’il réalise ce film, après avoir passé huit années en prison pour un viol qu’il n’a jamais commis. L’année 1989 est décisive, marquée par la chute du mur de Berlin puis l’effondrement de l’URSS sous le gouvernement réformiste de Gorbatchev. Le bloc soviétique se disloque, perdant peu à peu ses pays satellites, tandis qu’une nouvelle génération de cinéastes prend le pouvoir au Goskino, le Comité d’État pour le cinéma. De nombreux artistes jusque-là réduits à la clandestinité par le régime sont alors réhabilités, et leurs films présentés au public pour la première fois dans leur version d’origine. La censure étant dorénavant abolie, certains tabous sont levés tels que la sexualité (La Petite Vera, 1988), l’attrait des jeunes pour le mode de vie occidental (Assa, 1987) ou encore les affres du Goulag dont Staline a fait massivement usage. Surtout, un examen critique de l’Histoire soviétique peut enfin commencer.
Ainsi en est-il de Bouge pas, meurs, ressuscite qui aborde un aspect méconnu de la réalité concentrationnaire stalinienne. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la ville minière de Soutchan, en Sibérie, est une immense geôle pour de nombreux prisonniers de guerre japonais détenus dans des camps. C’est dans cet environnement sinistre qu’a grandi le cinéaste, s’inspirant de son enfance pour écrire le scénario de ce film autobiographique. Mais à Soutchan, le ciel est gris pour tout le monde, même pour la population indigène. Outre la boue et le froid permanents, toute une faune étrange survit dans des baraquements insalubres. On y rencontre un ancien scientifique devenu fou, des défilés d’enfants à la gloire de Staline, des corps mutilés ravivant le souvenir douloureux de la guerre, mais aussi deux gamins des rues, Galia et Valerka (alter ego du cinéaste), qui finissent par s’amouracher l’un de l’autre. Mais il n’est pas facile de se rapprocher en milieu hostile, surtout quand les enfants sont si souvent la proie des adultes. Seule alternative possible à la délinquance et à la maltraitance : la fuite, à laquelle Valerka se résout après avoir fait dérailler un train. Parti rejoindre sa grand-mère qui vit à Vladivostok, il se lie en chemin à des malfrats qui vont essayer d’abuser de son jeune âge. Jusqu’à ce que Galia le retrouve et que les deux fugitifs reprennent ensemble la route de la liberté...
Au terme de la projection cannoise, Vitali Kanevski s’était expliqué sur le titre énigmatique de son film : « ‘Bouge pas’ est une exhortation à la concentration du cinéaste, propre à la résurgence des souvenirs ; ‘Meurs’ indique la disparition du sujet réel, dont la vie est assumée par les acteurs ; ‘Ressuscite’ marque le retour du réalisateur sur l’écran lorsque l’histoire, rejouée par les acteurs, est terminée. » Le choix du noir et blanc plonge ici le spectateur dans une époque reculée, mais dont le désordre et le chaos font écho à la situation critique que connaît la Russie à la fin des années 1980, entre hausse de la criminalité, de la délinquance et généralisation du marché noir. La qualité de l’interprétation et la façon de filmer au plus près les personnages forgent un style documentaire, à la fois brut et émouvant. Notons que ce trop rare cinéaste a signé un second volet, intitulé Une vie indépendante, qui obtiendra le prix du Jury au Festival de Cannes en 1992.