Après huit ans de discussions, la France s'est dotée le mois dernier d'une loi concernant les droits des malades et la qualité de son système de santé. Le ministre délégué à la Santé Bernard Kouchner compte ainsi « redéfinir les priorités, démocratiser le système de soins en plaçant le malade en son centre », c'est ce qu'il a déclaré à l'Assemblée nationale. Il part du fait, que la relation entre médecin et malade est déséquilibrée, que cette nouvelle loi jette les bases pour rétablir la confiance. D'un côté, il y a le malade : il se sent souvent mal informé, peu respecté, à la merci du « sorcier en blouse blanche ». De l'autre côté, il y a le médecin qui craint une « dérive américaine » où il est exposé en permanence aux risques de poursuites judiciaires. Car le risque zéro n'existe pas en médecine.
Au Luxembourg non plus, cette discussion ne date pas d'hier : la loi sur les établissements hospitaliers du 28 août 1998 prévoit tout un chapitre sur les droits et les devoirs des patients. Or, la question se pose sur la transposition de ces mesures. L'association Patiente Vertriedung et le ministère de la Santé ont édité cette année une brochure d'information à ce sujet. Car, comme l'écrit le président René Pizzaferri dans la préface, « l'information manquante ainsi que le dialogue souvent inexistant peuvent être la source de conflits superflus ».
Le droit d'être informé sur son état de santé et sur le traitement adéquat est donc un de ces droits fondamentaux. Là se pose la question de savoir s'il faut tenir le patient au courant dès qu'il y a une suspicion de maladie grave, ou s'il faut attendre jusqu'à ce qu'il y ait confirmation du doute. Le patient a d'ailleurs le droit de ne pas savoir, sous condition de demander lui-même de ne pas être informé. « C'est une question délicate, d'ordre philosophique qui n'a pas encore abouti, » explique René Pizzaferri. Pour le président de l'association des médecins et médecins-dentistes (AMMD) Joé Wirtz, c'est au praticien d'apprécier l'état psychologique de son patient, sa capacité de supporter une mauvaise nouvelle. Par contre, il précise aussi que le médecin a toujours intérêt à informer, à ne pas tenir compte des angoisses du patient, s'il veut réellement éviter toute poursuite en justice.
Le droit d'accès à son dossier a constamment été une revendication majeure des malades à laquelle les médecins étaient souvent opposés. « Certains craignent que l'accès direct multiplie les procès, car les dossiers médicaux contiennent des documents imparfaits, des interrogations. Mais bien des problèmes naissent d'abord d'un déficit d'information et l'accès direct devrait supprimer les contentieux, » Bernard Kouchner en est convaincu. La loi luxembourgeoise prévoit cet accès aux données dans les fichiers des hôpitaux - données objectives comme les résultats d'analyses par exemple. Les notes et réflexions personnelles du médecin peuvent être exclues du dossier, ce qui « amène les praticiens à constituer un deuxième dossier, un fichier parallèle avec leurs jugements personnels, » constate Joé Wirtz. D'ailleurs, la loi ne prévoit pas l'obligation de fournir le dossier du cabinet médical. Le médecin agira bien sûr toujours dans l'esprit d'éviter un procès. Le simple fait de réclamer son dossier peut devenir suspect, un acte interprété comme une accusation en soi - ce qui explique certaines réticences des médecins ou des établissements hospitaliers. « Ces derniers temps, il y a moins de blocages, explique René Pizzaferri, mais il existe un problème de contenu des dossiers, parfois incomplets. Un autre débat est celui de faire payer le patient pour les copies. Nous estimons que c'est lui le propriétaire de ces données et qu'il n'est pas obligé de les payer une deuxième fois. » René Pizzaferri est aussi d'avis qu'il faudrait centraliser les données pour les rendre plus accessibles, ou du moins les coordonner pour éviter le double emploi.
Se pose alors la question de l'interprétation. L'association Patiente Vertriedung a mis sur pied un groupe d'experts chargés d'analyser les dossiers rendus anonymes et d'émettre ensuite un avis. Ces dernières années, il y a eu une nette progression de dossiers : à peu près 500 l'année dernière, ce qui représente le double par rapport à 1999. Les personnes, qui se sentent lésées, ont soit la possibilité de trouver un arrangement à l'amiable avec le médecin, soit de porter plainte auprès de la direction de la Santé, auprès du Collège médical ou auprès de la Commission de Surveillance de l'Union des Caisses de Maladie. Le patient peut aussi introduire un recours en justice.
« Les gens sont mieux informés et n'ont plus le même respect devant les blouses blanches, admet Joé Wirtz. Avant, les médecins avaient plus d'autorité, même s'ils n'avaient ni les connaissances ni les moyens que nous avons aujourd'hui. Les patients sont plus agressifs, ils n'acceptent pas la fatalité, ce sont les conséquences de l'évolution de notre société. » Le président de l'AMMD regrette que les étudiants soient formés pour exercer une « médecine défensive » avec une véritable « obsession du procès ». D'un côté, il est selon lui de plus en plus difficile de trouver des candidats prêts à se lancer dans des domaines médicaux plus risqués et contraignants comme la pédiatrie, l'anesthésie ou la chirurgie par exemple. De l'autre côté, le personnel traitant a de plus en plus tendance à multiplier les analyses et les examens pour réduire tout risque d'erreur - ce qui engendre des coûts supplémentaires pour les caisses de maladie.
Dans son exposé à l'Assemblée nationale française, le ministre délégué à la Santé Bernard Kouchner, a indiqué que « l'évolution de la jurisprudence, si elle tend à protéger davantage les personnes et à mieux assurer leur indemnisation, devient cependant si mouvante qu'elle finit par déstabiliser le système de santé : les médecins s'inquiètent, les usagers eux-mêmes s'interrogent sur leurs droits, de sorte que la crainte d'une dérive à l'américaine a fini par s'installer, même si nous en restons fort loin. » Pour y remédier, la loi française prévoit une procédure amiable de règlement des litiges.
Au Luxembourg, l'idée de créer une instance de conciliation avait aussi été lancée par la Patiente Vertriedung. Elle aurait pour but de régler les contentieux entre patients et praticiens sans avoir recours aux tribunaux. Des procédures judiciaires ne seraient engagées qu'en cas d'échec des conciliateurs. « La discussion est en cours avec le ministre de la Santé Carlo Wagner. Il est en principe d'accord, mais il n'a pas le soutien nécessaire du gouvernement pour réaliser cette idée, regrette René Pizzaferri, il faut débloquer des moyens financiers pour lancer cette instance de conciliation, où tous les concernés se réuniraient avec des experts venus de l'étranger. » Joé Wirtz n'est pas contre cette idée, sous condition que ne siègent que des personnes venues de la Grande région par exemple. « Le Luxembourg est trop petit, une action en conciliation ne peut pas être efficace et impartiale, si des confrères du même pays doivent se juger mutuellement. Le risque de collusion est trop important. »
Or, ce reproche peut aussi valoir pour le Collège médical, chargé notamment de trancher dans les cas de litiges entre médecins ou entre patients et praticiens. René Pizzaferri plaide pour plus de transparence, parce que les débats s'y déroulent à huis clos. « Les médecins peuvent se défendre, ce qui n'est pas le cas des patients. Les décisions ne sont pas publiques, donc les malades ne sauront pas si leur médecin a été sanctionné ou pas. Il faudrait aussi définir clairement le rôle de la direction de la Santé. » Selon René Pizzaferri, cette tâche devrait être fixée non seulement en matière de contentieux, mais aussi pour tout ce qui touche à la qualité des soins.
En présentant son projet de loi aux députés français, Bernard Kouchner affirmait que son objectif n'était pas « de combattre un pouvoir médical, mais de le dépoussiérer, de le rendre plus proche ». La loi luxembourgeoise de 1998 a réglé de nombreuses questions dans ce sens. L'évolution est amorcée.